( Arcom). C'est donc une nouvelle institution qui se présente devant vous aujourd'hui, puisque l'Arcom a vu le jour le 1er janvier de cette année.
Sa création a ouvert une nouvelle page de la régulation, qui fait écho aux transformations très profondes – et j'insiste sur ce point – du paysage audiovisuel et numérique. Je suis personnellement très frappé par l'accélération de cette évolution, qui se traduit par trois révolutions.
J'évoquerai tout d'abord une révolution technologique dans de nombreux domaines de notre vie, avec de nouvelles modalités d'accès aux programmes audiovisuels : 82 % des foyers sont aujourd'hui équipés d'un poste de télévision connecté à Internet, bénéficiant ainsi d'offres diversifiées et considérablement élargies.
La deuxième révolution est celle des comportements et des usages. Le nombre moyen d'écrans par foyer s'élève désormais à six, avec un mode de consommation des images en tous points différent de celui de mon enfance. La consommation non linéaire se développe aussi fortement en France : un foyer sur deux dispose d'un abonnement à un service de vidéos à la demande, avec une augmentation spectaculaire de près de trente points en l'espace de deux à trois ans. En parallèle, nous pouvons observer une baisse tendancielle du temps passé devant la télévision, bien que celui-ci reste élevé (3 heures 39 en moyenne par jour en 2021), et cette baisse se poursuit notamment chez les plus jeunes. Aujourd'hui, un Français sur trois utilise Internet comme principale source d'information.
La troisième révolution, économique, se concrétise par l'installation dans notre paysage d'acteurs internationaux dotés d'une puissance financière considérable, comme Netflix. Cette dernière, sur l'année écoulée, représente à elle seule 17 milliards de dollars d'investissement dans la production audiovisuelle et cinématographique. Nous serons amenés à accueillir sur notre territoire davantage de plateformes dans les mois à venir et la concurrence féroce à l'œuvre aujourd'hui devrait se poursuivre.
Dans ce contexte de transformations rapides et structurelles et dans le nouveau paysage qui en découle, il était naturel que la régulation s'adapte. C'est le sens de la création de l'Arcom. Notre collège se compose de neuf membres désignés par cinq autorités différentes, soit deux membres de plus qu'auparavant, dont un membre désigné par le vice-président du Conseil d'État et un membre désigné par le premier président de la Cour de cassation. C'est un collectif solide et soudé qui dispose d'une expertise forte et diversifiée. Par ailleurs, nous avons revu l'organisation de l'Autorité en créant une direction des plateformes en ligne. Nous sommes dotés de nouvelles compétences, notamment en direction des réseaux sociaux. Nous avons également mis en place une direction de la création, en charge de l'ensemble de nos compétences en matière culturelle, de fixation des obligations qui pèsent sur les chaînes de télévision et les plateformes de vidéo par abonnement, ainsi que de garantie des droits d'auteur et de lutte contre le piratage. Notre organisation a été bâtie de façon à ne pas simplement juxtaposer l'ancien CSA et l'Hadopi. Nous avons marié les compétences, croisé les savoir-faire. Nous conservons en outre nos implantations en régions à travers seize antennes, dont quatre dans les Outre-mer. Nous sommes en train de finaliser le projet stratégique de l'institution pour les trois années à venir, qui fixera l'ensemble de nos actions et de nos orientations prioritaires.
Nous nous sommes attachés à mettre en œuvre en priorité les nouvelles missions que la loi nous a confiées. Il s'agit d'abord de la lutte contre le piratage des contenus culturels et sportifs. La loi a visé les nouvelles pratiques de piratage. Il y a une dizaine d'années, celui-ci s'effectuait par échange de fichiers entre particuliers. Désormais, il passe essentiellement par l'intermédiaire de sites de streaming illicites. Il est à noter que le piratage représente un manque à gagner de l'ordre d'un milliard d'euros par an, son impact est donc considérable. Notre action repose sur un nouveau cadre juridique très réactif impliquant un dialogue entre les ayants droit, la justice et les fournisseurs d'accès. Les nouvelles procédures nous permettent d'intervenir en urgence, par exemple dans le cas des manifestations sportives, qui ont lieu à une date bien précise. Les ayants droit peuvent saisir le juge à des fins de blocage et de déréférencement des sites concernés. Depuis le 1er janvier de cette année, les procédures que nous avons mises en œuvre ont permis, en matière de piratage sportif, de bloquer un peu plus de sept cents sites illicites et de diminuer de 50 % ce type de piratage.
Notre deuxième nouvelle compétence correspond à la supervision des plateformes en ligne, qui occupe une place croissante dans nos missions à travers l'intervention de la loi de 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, texte que nous avons mis à profit pendant la période électorale. Nous allons publier très prochainement un bilan d'application de cette loi sur les trois dernières années, afin que les parlementaires ajustent ce texte si besoin.
Nos missions ont également été étendues à la lutte contre la haine en ligne avec la loi du 24 août 2021 sur le respect des principes de la République. La régulation des plateformes a aussi pris une dimension résolument européenne, à travers l'adoption d'une législation sur les services numériques, avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), auxquels nous avons contribué en tant que membre du groupe des régulateurs européens, au sein duquel nous sommes très impliqués. Nous allons maintenant suivre la mise en œuvre de ces textes. Au regard de son expérience, l'Arcom pourrait être chargée de la coordination de ces mesures pour la France. Un autre texte très important est en préparation au sein de l'Union européenne, portant sur la concentration dans les médias et leur indépendance. Nous allons contribuer aux débats sur son évolution. Enfin, au mois d'octobre, je prendrai la présidence du Réseau francophone de la régulation des médias (REFRAM), et ce pour une durée de deux ans.
La troisième mission que le législateur nous a confiée, nouvelle également, concerne la loi de 2020 sur les violences conjugales et la protection des mineurs face aux contenus pornographiques. Conformément à ce texte, nous avons mis en demeure sept sites contrevenant à la réglementation et nous avons finalement saisi le tribunal judiciaire, qui a tenu son audience la semaine dernière et qui vient de désigner un médiateur pour traiter ce dossier.
Nous déployons enfin, et ce n'est pas nécessairement la plus facile, une mission liée à l'entrée en vigueur du règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus en ligne à caractère terroriste et pédopornographique. Un membre du collège de l'Arcom, magistrate judiciaire, a la charge de cette mission depuis juin dernier, mission qui relevait autrefois de la CNIL et qui consiste à bloquer et déréférencer ces sites, adressés par la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), gérée par des services de police et de gendarmerie. Ainsi, 130 000 contenus ont été concernés pour la seule année 2021.
En parallèle de ces nouvelles attributions, nous avons bien sûr poursuivi l'exercice de notre mission historique. 2021 et 2022 ont d'abord été marquées par des échéances électorales de premier plan : élections régionales, troisième référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie, scrutin présidentiel et élections législatives. Au titre de notre mission de préservation du pluralisme politique à l'antenne, nous avons veillé de très près au bon déroulement de ces rendez-vous démocratiques majeurs, à la télévision comme à la radio. Nous allons publier sous peu le bilan de ces processus électoraux, qui comprendra pour la première fois un volet sur l'action des plateformes en ligne. Nous avons joué un rôle central dans l'élection présidentielle qui, se tenant à la suite de la pandémie, a été marquée par une diminution du nombre de meetings politiques et par davantage d'interventions politiques dans les médias. Par conséquent, la comptabilisation des temps de parole a suscité une attention très forte de la part de l'Arcom.
La période d'actualité nationale et internationale très dense que nous vivons a requis un niveau de vigilance constant de notre part, en tant que garant de la liberté d'expression, de la rigueur de l'information et de la maîtrise de l'antenne. Ainsi, dans le cadre de la guerre en Ukraine, avons-nous participé directement à la mise en œuvre des sanctions adoptées par Conseil de l'Union européenne à l'encontre des chaînes RT France et Rossiya-24. Nous avons par ailleurs mis en demeure Eutelsat, l'opérateur satellite nord-européen, de cesser la diffusion de NTI, chaîne de propagande non conforme à notre réglementation.
Au-delà de ces missions liées au pluralisme et à la déontologie des programmes, l'Arcom a continué à accompagner la transformation des médias audiovisuels. La radio reste le média favori des Français, les trois quarts d'entre eux l'écoutant quotidiennement, à raison de 2 heures 41 en moyenne. Ce média a fêté l'an dernier le centième anniversaire de sa création et, à cette occasion, a été créée la première fête de la radio. 2021 a cependant été surtout marquée par l'accélération du déploiement de la radio numérique terrestre DAB+, qui se poursuivra en 2023, de façon à couvrir 50 % de la population française. Cette technologie apporte une qualité de son supérieure et un confort accru en mobilité, puisque le signal suit automatiquement les déplacements de l'auditeur. Nous sommes par ailleurs en train d'examiner les implications de l'OPA du groupe Vivendi-Lagardère, notamment pour Europe 1.
La télévision subit quant à elle une évolution majeure. Le projet de fusion entre TF1 et M6 – abandonné vendredi soir – nous a très largement mobilisés ces derniers mois. Dans un souci de transparence, nous diffuserons dès demain l'avis que nous avions rendu à l'Autorité de la concurrence sur ce dossier. L'évolution des deux chaînes reste une zone d'incertitude pour notre paysage, caractérisé par un audiovisuel public en transition entre deux groupes privés principaux confrontés à leur avenir, même s'il s'agit d'entreprises solides dotées d'importants atouts. Nous allons en outre devoir gérer le renouvellement des autorisations d'émettre de ces deux chaînes, qui arrivent à échéance au mois de mai 2023, comme nous le faisons actuellement pour Canal+.
L'audiovisuel public, auquel l'Arcom est particulièrement attachée, est lui aussi contraint de s'adapter aux transformations du paysage. Celui-ci représente 30 % des audiences, constitue un poids économique majeur – près de 4,5 milliards d'euros – et rassemble près de 15 000 salariés au sein d'entreprises qui jouent un rôle structurant dans notre paysage, en matière d'information comme de financement de la production. Ces entreprises ont un poids très important à l'international, en particulier France Médias Monde. Pour remplir leurs missions, elles ont besoin d'un financement adapté, prévisible et à même de préserver leur indépendance, que le régulateur est chargé de garantir, à travers la loi. Nous avons donc suivi avec grand intérêt la réforme du financement de l'audiovisuel public et nous souhaitons que la période nous séparant de l'adoption de la loi de finances pour 2023 et l'échéance de 2025 permette d'engager une réflexion plus globale sur la stratégie et le rôle attendus de ces sociétés.
Quelques autres chantiers nous ont mobilisés. J'en évoquerai deux rapidement. Il s'agit tout d'abord de mesures en faveur de la cohésion sociale, et notamment la loi climat et résilience adoptée par le Parlement l'année dernière, qui prévoit la conclusion de chartes d'engagement des acteurs de la publicité sous l'égide du régulateur. Cette mission conforte notre action pour réduire l'empreinte environnementale. En second lieu, je mentionnerai le soutien à la création française et notamment la modernisation de son financement. Nous avons notamment déployé la directive Services de médias audiovisuels (SMA), qui nous a permis de conventionner et d'intégrer à notre système de financement de grands groupes tels que Netflix, Amazon Prime et Disney+. Leur contribution sera très significative puisque, pour la première année d'application, elle est estimée à 250 millions d'euros. La France n'est, à ce niveau, aucunement comparable aux autres pays européens.
Ces dix dernières années, nous avons exercé ces missions nouvelles et historiques à ressources constantes. Dans la mesure où vous, parlementaires, allez prochainement être amenés à voter la loi de finances pour 2023, nous vous sollicitons pour venir en appui de l'Arcom.