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Intervention de Estelle Youssouffa

Réunion du mercredi 11 octobre 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Youssouffa, rapporteure pour avis :

Notre audiovisuel extérieur, qui s'appuie sur le groupe France Médias Monde (FMM) – avec France 24 et les radios Radio France internationale (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD) – et sur la chaîne multilatérale TV5 Monde, est un atout pour le rayonnement de la France et de la francophonie. Nous y consacrons moins de 10 % de tous les financements de l'audiovisuel public. Pour 2024, les dotations s'élèvent à près de 300 millions pour FMM et à 83 millions pour TV5 Monde, en hausses respectives de 5 % et de 3,5 %

Cependant, ces hausses résultent pour moitié de la stricte compensation des effets fiscaux de la suppression de la redevance, qui oblige à appliquer la taxe sur les salaires et met fin à la déductibilité de TVA. Le reste des hausses de crédits est entièrement absorbé par l'inflation mondiale ou le change, qui pénalisent beaucoup plus l'audiovisuel extérieur que les chaînes nationales.

Concernant TV5 Monde, la France doit encore solder un passif de presque 4 millions d'euros d'arriérés de contributions, alors même que sa contribution représente plus de 73 % des dotations publiques de TV5 Monde. Depuis deux ans, si la chaîne a pu boucler ses budgets, c'est uniquement grâce aux cotisations apportées par un nouveau membre : Monaco.

Il faut d'ailleurs saluer les efforts accomplis par FMM et TV5 Monde ces dernières années pour se moderniser, malgré la contrainte financière, à travers des plans d'économies et la recherche de ressources propres permise par leurs très bons résultats d'audience.

Cependant, pour conduire des projets structurants, des financements publics supplémentaires sont indispensables. Sans dotations suffisantes, notre audiovisuel extérieur ne sera pas en mesure de tenir son rang face à une concurrence féroce : celle de ses homologues occidentaux, aux dotations souvent bien plus élevées, et celle des États qui utilisent leur audiovisuel à des fins de guerre informationnelle, visant parfois directement la France.

C'est l'un des enjeux majeurs du prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 liant France Médias Monde à l'État, qui doit être transmis à notre commission en début d'année prochaine. FMM devra pouvoir engager de nouveaux projets éditoriaux pour mieux toucher certaines zones stratégiques.

Le soutien financier public doit donc être pérenne et lisible. Un tel enjeu appelle deux observations de ma part.

Tout d'abord, le projet de loi de finances comporte cette année une enveloppe distincte, le programme 848 Programme de transformation. Destiné à l'ensemble de l'audiovisuel public, ce programme est doté de 5 millions d'euros potentiellement fléchés vers FMM cette année et la suivante, puis 3 millions en 2025… et rien par la suite. Nous avons peu d'explications sur les conditions d'utilisation de cette enveloppe non pérenne, décroissante et qui serait conditionnée par l'atteinte d'objectifs non définis.

Cette approche n'est pas du tout adaptée aux activités de RFI et France 24, dont les nouveaux projets nécessitent d'abord et avant tout de constituer et d'augmenter le nombre d'équipes de journalistes. Ce n'est pas possible avec des crédits supplémentaires ponctuels. Je proposerai donc un amendement pour inscrire ces 5 millions d'euros supplémentaires directement dans la dotation de base de France Médias Monde plutôt que dans ce programme complémentaire : FMM pourra ainsi, dès janvier prochain, utiliser ces sommes de manière souple pour la programmation de ses projets.

Lors de la suppression de la redevance télé à l'été 2022, l'Assemblée nationale a souhaité garantir l'autonomie financière de l'audiovisuel public par des ressources fiables plutôt que des crédits entièrement à la main de Bercy. La solution que nous avons retenue l'an passé – une affectation de TVA – est transitoire. Il faut donc engager sans tarder une initiative transpartisane pour modifier ces dispositions.

Je rappelle que les modalités de financement de l'audiovisuel extérieur engagent sa crédibilité à l'étranger. Une budgétisation classique ferait courir le risque que certains régulateurs nationaux ou des acteurs du numérique requalifient FMM en « média d'État », au même titre que des médias propagandistes, ce qui serait un comble. Il est essentiel que personne ne puisse mettre en doute le fait que notre audiovisuel extérieur produit une information libre, indépendante, vérifiée et équilibrée.

Cela m'amène à la question de notre audiovisuel extérieur en Afrique de l'Ouest, dont j'ai pu mesurer les enjeux lors de mon déplacement à Dakar, début septembre, pour rencontrer la rédaction de RFI en langues africaines.

Alors que les auditions se déroulaient dans une période de fortes tensions entre la France et le Niger, la question de la relation entre Paris et l'Afrique était au cœur des préoccupations de nos interlocuteurs. Avec une immense déception et des attentes fondées sur une longue histoire commune, beaucoup ont formulé des critiques argumentées et ont dénoncé l'écart entre les principes, les ambitions ou les intentions affichés par la France et les actions qu'elle a entreprises en Afrique.

Reprenant le discours d'une France qui interfèrerait dans le jeu politique local, ils ont aussi critiqué une politique étrangère française donneuse de leçons sur la démocratie mais qui soutiendrait en fait des régimes liberticides. Ces critiques, construites et répétées, sont déclinées tant sur le plan politique que financier puisque le discours antifrançais s'appuie aussi sur le contentieux autour du franc CFA, perçu comme un outil anachronique de domination économique.

Dans ce contexte de tensions, les rédactions de France Médias Monde sont prises pour cible. Nos chaînes sont confrontées à de virulentes remises en question qui peuvent déboucher sur des menaces ou des attaques directes contre les journalistes français ou africains travaillant pour l'audiovisuel extérieur français. J'ai rencontré des journalistes maliens et burkinabés qui risquent leur vie pour donner une information vérifiée et indépendante ; des journalistes menacés, qualifiés de traîtres parce qu'ils travaillent pour RFI ou France 24 et qui s'inquiètent pour leur famille.

Certains, en Afrique, mettent en doute par principe le modèle du média public indépendant car ils pensent qu'une chaîne publique est toujours le porte-parole du pouvoir en place. Nous sommes témoins et victimes, indirectement, de la divergence des sociétés africaines et européennes en matière politique, culturelle et de mœurs, alors même que nous sommes de plus en plus interconnectés médiatiquement. Nos chaînes internationales sont dès lors perçues comme porteuses de valeurs libérales, qui peuvent heurter certaines sociétés plus conservatrices. À cet égard, les déclarations ambigües du président de la République, deux années consécutives, lors de ses discours à l'occasion de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs, ont semé la confusion en invitant à faire de notre audiovisuel extérieur un « outil d'influence » ou un « instrument de communication ».

Si la guerre informationnelle contre la France est une réalité en Afrique, la formulation présidentielle est malheureuse, infondée, bien loin de la réalité des rédactions de France Médias Monde, totalement libres et indépendantes. Pire, elles exposent les journalistes à des risques croissants sur le terrain. Alors que certains États utilisent leurs outils médiatiques pour diffuser des messages antifrançais et propager une désinformation destructrice, la totale liberté éditoriale de FMM et son indépendance lui garantissent la confiance du public, son succès et une large diffusion d'informations vérifiées. Il est donc capital de préserver France Médias Monde de toute velléité d'intervention politique et de laisser les journalistes travailler librement et sereinement.

En tant qu'État, la France est pleinement en droit de conduire une politique d'influence. Mais quand notre pays, en tant qu'État, est mis en cause, la mission de riposte relève exclusivement des services d'information du Quai d'Orsay ou des ambassades : les journalistes de l'audiovisuel extérieur ne sont ni des diplomates, ni des communicants.

Plus que jamais, notre audiovisuel extérieur doit cultiver ses atouts pour nourrir un lien de confiance avec ses publics en Afrique. La rédaction de RFI en langues africaines à Dakar, dénommée Afri'Kibaaru, est animée par des équipes exceptionnelles et permet de toucher des publics plus ruraux, moins éduqués, plus féminins. L'initiative permet aussi de renforcer les capacités de centaines de radios partenaires, qui en relaient les programmes et bénéficient de formations et d'équipements.

Le prochain contrat d'objectifs et de moyens devra également doter France Médias Monde de moyens pour lancer de nouveaux programmes de proximité autour de ce « hub » de Dakar : par exemple, un décrochage de France 24 réalisé par des journalistes africains avec des contenus positifs sur « l'Afrique qui gagne » à destination des francophones de l'ensemble du continent ; ou encore, un ENTR panafricain – à l'image du réseau ENTR européen – à destinations des 15-24 ans, c'est-à-dire une offre numérique et interactive adaptée aux réseaux sociaux, ciblant les jeunes urbains qui sont très exposés à la désinformation en ligne.

De manière générale, nous devons nous appuyer sur des liens de coopération avec des acteurs locaux, comme ceux de Canal France International. Nous devons aussi renouer des liens parfois distendus, à travers des échanges professionnels avec des médias publics africains ou avec l'école de journalisme de l'Université de Dakar – le centre d'études des sciences et techniques de l'information (CESTI) –, que la France a soutenue pendant de nombreuses années avant d'être remplacée par des fondations allemandes ou par Voice of America. Alors que les bâtiments du CESTI ont été en partie incendiés lors des émeutes de juin dernier, notre ambassade s'honorerait de renouer un partenariat structurant avec l'établissement , a fortiori pour l'aider à passer ce cap difficile.

Je conclurai en mentionnant le rôle considérable de TV5 Monde, qui appuie la création audiovisuelle en Afrique grâce à sa programmation très suivie, à des investissements dans des films et des séries ou encore au Fonds Francophonie TV5MondePlus, qui alimentera la plateforme numérique de la chaîne.

L'un des principaux chantiers des prochaines années pour TV5 Monde doit être de faire entrer des États africains dans la gouvernance de cette chaîne multilatérale, aujourd'hui composée exclusivement d'États francophones du Nord.

Dans le contexte d'une mise en cause multiforme de notre audiovisuel extérieur en Afrique, il faut bel et bien utiliser tous les leviers pour conforter le lien de confiance avec les publics africains. Le budget qui nous est présenté ne le fait que de façon imparfaite mais il présente des pistes sérieuses, à vérifier sur la durée, ce qui est d'ailleurs le but de mon amendement. Si ce dernier était adopté, je pourrais donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du compte de concours financier.

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