Intervention de Élise Leboucher

Réunion du mercredi 11 octobre 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlise Leboucher, rapporteure pour avis :

Au moment de vous présenter les crédits de la mission Aide publique au développement, je tiens à remercier l'ensemble des personnes auditionnées, en France ou au Bénin, pour leur disponibilité et leur engagement.

Alors que les besoins de développement sont au plus haut et que nos sociétés sont toujours plus interdépendantes, la France se doit d'incarner la solidarité et de porter un engagement fort pour le développement. L'horizon 2030 et ses objectifs de développement durable se rapprochent et, malgré les progrès accomplis, nous sommes encore loin des objectifs fixés. J'ai décidé de consacrer la partie thématique de mon rapport à la santé maternelle et infantile, ainsi qu'aux droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR). Le message clé de mon rapport est que la France doit amplifier et accélérer son engagement.

La mission APD est composée de deux programmes principaux, le programme 110 Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l'économie et des finances, et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, piloté par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Dans le projet de loi de finances pour 2024, les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes s'élèvent à 5,9 milliards d'euros, montant en stagnation par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Les crédits de paiement du programme 110 se maintiennent. La France empruntant plus cher sur les marchés et devant maintenir des taux d'intérêt suffisamment concessionnels pour ses prêts, on note toutefois une forte augmentation des crédits de paiement pour l'aide bilatérale. Si l'intention est louable, cette évolution doit nous pousser à nous interroger sur la place que les prêts occupent dans notre APD. Le traitement de la dette doit aussi rester une priorité.

Les crédits de paiement du programme 209 sont également en stagnation. Malgré une augmentation des fonds pour l'aide humanitaire et le relèvement de la coopération bilatérale, les autorisations d'engagement baissent de manière préoccupante.

Pour la première fois, des crédits de 6,1 millions d'euros sont inscrits au programme 370 Restitution des « biens mal acquis ».

Les crédits de la mission APD sont complétés par les recettes du fonds de solidarité pour le développement, à hauteur de 738 millions d'euros, dont 528 millions proviennent de la taxe sur les transactions financières (TTF). Afin de dégager de nouvelles ressources en faveur de la solidarité internationale, et alors que les recettes de la TTF ont fortement augmenté, je recommande un relèvement de son plafond, ainsi qu'un élargissement de son assiette et un relèvement de son taux.

Ce projet de loi de finances s'inscrit dans un contexte particulier, après le conseil présidentiel du développement, le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Plusieurs signaux me poussent à émettre une alerte. Le premier est la revue à la baisse des aspirations. En effet, voilà un an, le Gouvernement imaginait pour 2024 des crédits de paiement à hauteur de 6,25 milliards d'euros. Ensuite, la stagnation des crédits cette année équivaut, dans un contexte d'inflation, à une baisse des fonds. Enfin, le report de 2025 à 2030 de l'échéance pour atteindre le taux de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'APD est un recul sans précédent, qui représente un manque à gagner de 10,9 milliards d'euros pour le développement international. J'invite ainsi le Gouvernement à reconsidérer d'urgence ce report et vous encourage à voter les amendements rétablissant une cible plus rapprochée.

Un autre changement préoccupant est la mise à l'écart du Parlement par le Gouvernement pour ce qui concerne l'APD. La commission d'évaluation prévue par la loi de 2021 se fait toujours attendre et le Parlement n'a pas été associé à la préparation du CICID, qui a pourtant apporté des changements majeurs : outre le report de l'objectif de 0,7 %, l'abandon de la liste des dix-neuf pays prioritaires et du focus sur l'Afrique. Dans un contexte de tensions géopolitiques avec plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, ce changement est un signal d'alerte quant au risque que des fonds puissent être redirigés de certains pays bénéficiaires vers d'autres, non sur la base d'objectifs de développement mais dans une logique d'intérêts et d'influence.

Je m'interroge également sur la valeur sémantique du passage d'une politique d'aide publique au développement à une « politique d'investissement solidaire et durable », conçue de manière transactionnelle. Nos boussoles doivent être les besoins des populations en matière de développement et la protection des biens communs. Tous ces signaux négatifs me poussent à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

J'en viens à la santé maternelle et infantile et aux droits et santé sexuels et reproductifs. Au cours des deux dernières décennies, nous avons pu constater une vraie prise de conscience sur ces questions aux niveaux tant international que national. Cela s'est traduit par des progrès avec, en Afrique subsaharienne, une réduction de 34 % de la mortalité maternelle et une baisse de 50 % de la mortalité des enfants de moins de 5 ans. La France a sa part dans ces progrès, et cela doit être souligné, mais elle peut faire bien plus encore. En effet, en raison de son important recours aux prêts, la France n'investit que 18 % de son APD totale dans les services sociaux de base, la santé ne représentant que 8 %. Ces services sont pourtant essentiels à l'exercice des droits fondamentaux. Je recommande donc d'y consacrer au moins 50 % de notre APD.

Vous trouverez dans mon avis budgétaire un résumé des engagements de la France dans le secteur de la santé maternelle et infantile. J'insisterai sur un instrument : le Fonds français Muskoka, qui agit depuis 2011 dans neuf pays d'Afrique de l'Ouest et centrale. Mis en œuvre par l'Agence française de développement (AFD), coordonnant quatre agences onusiennes et co-construit avec les partenaires, le Fonds Muskoka accomplit un travail remarquable sur le terrain. Il reste néanmoins sous-doté au regard des besoins qui se manifestent dans la région.

On ne peut évoquer la santé maternelle et infantile sans parler des droits et santé sexuels et reproductifs. La poursuite par la France, depuis quelques années, d'une approche fondée sur les droits est une évolution positive. Il faut maintenant y mettre les moyens, en dotant la diplomatie féministe d'un pilotage et de moyens adéquats, en renforçant notre APD genrée ou en augmentant notre soutien aux organisations de la société civile et aux organisations féministes.

Si de grandes avancées ont été réalisées, ces progrès se sont toutefois nettement ralentis au cours des dernières années. Les indices de santé en Afrique subsaharienne restent les plus critiques au monde. La région concentre ainsi 70 % des décès maternels et 56 % des décès d'enfants de moins de 5 ans. Le cancer du col de l'utérus représente un autre risque majeur. La persistance des discriminations et des violences sexistes et sexuelles, ainsi que la montée des mouvements anti-droits, représente également une menace. La crise de la Covid, les effets de la guerre en Ukraine, dont l'inflation, et la multiplication des crises sécuritaires, économiques, sanitaires, alimentaires et climatiques pourraient conduire non seulement à un ralentissement des progrès, mais aussi à une régression, les femmes et les enfants y étant particulièrement vulnérables.

Le combat pour la santé maternelle et infantile est donc loin d'être achevé. Il est plus impératif que jamais de maintenir et d'amplifier l'engagement de la France dans ce domaine. J'esquisse dans mon avis plusieurs pistes pour renforcer et améliorer notre aide : consolider les systèmes de santé locaux en formant beaucoup plus de professionnels qualifiés, aider les partenaires à mobiliser des ressources intérieures, construire et renforcer la souveraineté sanitaire de l'Afrique. J'invite aussi à rationaliser et à coordonner l'intervention des très nombreux acteurs du développement dans ce secteur. Enfin, il me paraît fondamental de nous appuyer plus que jamais sur les communautés locales.

Face au danger, nous pouvons et nous devons faire mieux.

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