Intervention de Christine Arrighi

Séance en hémicycle du mardi 17 octobre 2023 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2024 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi :

L'examen du projet de loi de finances pour 2024 intervient dans un contexte de forts besoins écologiques et sociaux. Dans votre dossier de presse, vous précisez que le texte vise à « répondre aux défis de demain ».

À cet égard, l'été 2023 a été le quatrième plus chaud à être évalué en France. Sur l'ensemble de la saison, la température moyenne, qui s'est élevée à 21,8 degrés Celsius, a été supérieure à la normale enregistrée dans notre pays entre 1991 et 2020. Deux épisodes caniculaires ont été classés en vigilance rouge par Météo France et, au total, vingt-six événements ont été classés en vigilance orange ou rouge.

Partout dans le monde, notamment en Grèce ou au Canada, pour ne citer que deux exemples, les phénomènes climatiques extrêmes se sont multipliés. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a déclaré il y a un peu plus d'un mois que « l'effondrement climatique a commencé ». De même, les observations du programme satellitaire européen Copernicus ont conduit à annoncer que, compte tenu de la canicule océanique, il était probable que 2023 soit l'année la plus chaude que l'humanité ait connue.

Or, pendant ce temps, une étude de l'Insee parue en juillet dernier a indiqué que 9 millions – je dis bien 9 millions – de Français se sont trouvés en situation de privation matérielle et sociale en 2022. L'Union sociale pour l'habitat a pour sa part estimé à 518 000 le nombre de nouveaux logements sociaux dont nous avons besoin chaque année. Le nombre de personnes et de travailleurs pauvres explose. Je m'en tiendrai là, mais vous conviendrez comme moi qu'il y a urgence et que plutôt que de répondre aux défis de demain, il faut dès aujourd'hui répondre aux défis qui se présentent à nous.

Pour honorer nos engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 et réussir la transition écologique dans le délai imparti, des moyens supplémentaires et considérables doivent être mobilisés. Le rapport de Selma Mahfouz et de Jean Pisani-Ferry les estime à 34 milliards d'euros pour 2024.

Le projet de loi de finances pour 2024 présente 491 milliards d'euros de dépenses, soit 9 milliards de moins qu'en 2023, et 349 milliards d'euros de recettes : il affiche donc un déficit de 142 milliards d'euros. Déficit que l'on pourrait réduire si le volet recettes de ce budget intégrait toutes les propositions – on peut rêver – ou du moins les propositions raisonnables de recettes qui sont faites çà et là, y compris par des proches de la majorité. Je pense à l'impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des plus aisés proposé par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, qui pourrait rapporter 5 milliards dès l'année 2024.

Je pense également aux propositions que nos collègues Jean-Paul Mattei et Nicolas Sansu ont présentées dans leur rapport sur la fiscalité du patrimoine, notamment à l'augmentation de la contribution des revenus du capital au redressement des finances publiques grâce à une hausse modérée – je reconnais bien là Jean-Paul Mattei – de trois points du taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) au titre de l'impôt sur le revenu et à l'augmentation de la contribution du patrimoine financier conservé dans des holdings patrimoniales grâce à la hausse des différentes quotes-parts pour frais et charges applicables aux remontées de dividendes ou aux plus-values de cessions de participations.

Peuvent s'y ajouter la juste taxation des superprofits réalisés et des superdividendes versés ces dernières années par plusieurs entreprises dans différents secteurs – maritime, agroalimentaire, pharmaceutique –, que nous proposons depuis l'an dernier ; la suppression de niches fiscales onéreuses et injustifiées telles que la taxe au tonnage dans le secteur maritime, qui a coûté 4,2 milliards d'euros aux finances publiques sur la période 2021-2022 et n'a plus de raison d'être ; l'augmentation du VM au niveau national pour financer les transports de proximité, utiles sur le plan social comme sur le plan écologique.

Il faudrait également mettre fin à la fiscalité avantageuse dont bénéficie le secteur aérien du fait d'un taux réduit de TVA et de l'absence de taxation du kérosène, et instaurer une TVA à taux normal sur les vols intérieurs – à l'exception des vols à destination et en provenance des territoires d'outre-mer et de la Corse ; cette mesure, également souhaitée par un député de la majorité, a été rejetée. Enfin, nous proposons la mise en place d'une écocontribution sur les billets d'avion, qui pourrait rapporter 3 milliards par an selon les travaux de la Convention citoyenne pour le climat.

Toutes ces recettes permettraient de diminuer la dette publique, mais aussi sa charge, en une période où les engagements financiers de l'État repartent à la hausse et talonnent le budget de l'éducation nationale. Nous y reviendrons lors du débat sur la dette publique.

M. Le Maire a vanté, lors de sa prise de parole, les effets positifs de la politique de l'offre qu'il mène depuis 2017. Il me semble juste de rappeler le coût cumulé de certains dispositifs de cette politique pour les finances publiques au cours du précédent quinquennat : la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, décision prise à contre-courant de ce que font le Royaume-Uni et les États-Unis, a coûté 11 milliards ; le remplacement de l'ISF par l'IFI a coûté 15,5 milliards ; la création du prélèvement forfaitaire unique a coûté entre 5,5 et 9 milliards ; la baisse des impôts de production a coûté 25,83 milliards. Ces dispositifs représentent un manque à gagner pour les finances publiques oscillant entre 57 et 62 milliards et cette liste n'est pas exhaustive. Ce sont autant de recettes en moins pour financer la transition écologique, les services publics ou le logement social. Vos choix politiques ne sont pas les nôtres !

Venons-en à la « compétitivité verte », terminologie qui rejoint la longue liste des expressions qui sonnent creux et qui refusent d'interroger la pertinence de votre novlangue, où l'on trouve des expressions telles que « croissance verte » ou « économie verte ». L'article 5 du projet de loi crée le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte. Aucune garantie sociale et environnementale n'est demandée aux entreprises qui en bénéficieront au titre de leurs investissements, alors même que la question de la conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques est prégnante.

Ce dispositif doit être renforcé, car maintenant que le Gouvernement s'est enfin rendu compte de l'importance de relocaliser les industries en France, il faut encadrer les soutiens publics pour éviter les effets d'aubaine – comme pour d'autres dépenses fiscales, par exemple le crédit d'impôt recherche, utile dans son principe mais nécessitant d'être réformé. En ce sens, il faut porter à cinq ans la durée d'exploitation sur le territoire, afin d'éviter les délocalisations au bout de deux ans dans des pays où la main-d'œuvre est moins coûteuse, et conditionner ce crédit d'impôt à des obligations environnementales alignées avec nos objectifs – je pense notamment à l'accord de Paris et à la stratégie nationale bas-carbone. Nous avons fait en commission des finances des propositions en ce sens, mais nous avons peu d'espoir de les voir survivre au 49.3…

J'en viens au plan d'épargne avenir climat, auquel notre groupe s'était déjà opposé lors de l'examen du projet de loi relatif à l'industrie verte. Au-delà de la cible de ce dispositif – essentiellement des mineurs –, le montant des encours mobilisables reste faible du fait de la petite capacité d'épargne de cette catégorie d'âge de la population, à l'exception de ceux dont les parents disposent de moyens relativement importants. Le plan d'épargne avenir climat n'offre à ce stade aucune garantie de la bonne allocation des encours au profit de la transition écologique. Nous n'avons en particulier aucune assurance que l'argent épargné au nom de l'avenir du climat ne financera pas des entreprises destructrices du climat, donc de l'avenir. La mobilisation de l'épargne doit prioritairement porter sur le fléchage des encours issus de l'épargne salariale, de l'assurance vie et des divers livrets réglementés, grâce à une refonte des règles qui s'y appliquent, notamment en termes de fiscalité et de garantie.

S'agissant des transports, je ne m'étendrai pas sur les services express régionaux et métropolitain, pour lesquels vous avez annoncé une valse de milliards dont nous attendons toujours la traduction concrète dans ce budget 2024. Sur les 100 milliards annoncés par Mme la Première ministre il y a déjà presque un an, seuls 765 millions sont prévus sur cinq ans pour financer la phase d'études dans le cadre des contrats de plan État-région en cours de négociation, sans garantie de financement supplémentaire par l'État lorsque les projets, arrivés à maturité, pourront être labellisés : aucun engagement n'a été pris en ce sens.

On note aussi des effets d'annonces sur le pass rail à 49 euros, prévu pour l'été 2024 selon les services du ministre des transports. Or tout porte à croire à une approche en silo, sans concertation des acteurs locaux, pour la mise en œuvre dans les délais annoncés de cette mesure pourtant nécessaire. Là encore, il faudra préciser clairement la contribution de l'État, laquelle ne doit pas ponctionner les ressources nécessaires au développement et à la rénovation des trains Intercités et du réseau.

Enfin, pour nos collectivités, racines de la République, le compte n'y est pas. D'abord, la hausse de 220 millions d'euros de la dotation globale de fonctionnement inscrite dans ce projet de loi ne couvre que 0,8 % de l'inflation. L'indexation de cette dotation sur l'inflation est une demande juste, qui permettra de préserver le pouvoir d'action des collectivités territoriales.

Du reste, si l'on élargit le bilan à l'ensemble des concours financiers alloués aux collectivités en 2024, on constate une perte de ressources de plus de 2,2 milliards, inflation comprise, pour les collectivités territoriales. Ce montant inclut les effets de la fin des dispositifs de protection des collectivités contre la hausse des prix de l'énergie estimés à 1,1 milliard. Votre décision de mettre fin au soutien de l'État aux collectivités en arguant d'une baisse globale des prix de l'énergie est très discutable, puisque plusieurs collectivités ont été obligées de signer des contrats triennaux à des prix élevés et ne bénéficient pas encore de la répercussion de la baisse des tarifs.

Un autre point noir de ce projet de loi pour les collectivités est la ponction à hauteur de 67 millions d'un ensemble de dotations et de compensations d'exonérations en 2024. Cela représente 27 millions en moins pour le bloc communal, 10 millions en moins pour les départements et 30 millions en moins pour les régions. Un sacré coup de rabot !

Vous ne prévoyez rien non plus pour compenser votre décision unilatérale de revalorisation de 1,5 % de la valeur du point d'indice de la fonction publique depuis le 1er juillet 2023, qui s'impose aux collectivités après une précédente hausse non compensée.

Ce projet de loi de finances contient tout de même une bonne nouvelle : la prise en compte, à partir de 2024, des aménagements de terrain pour le calcul du fonds de compensation pour la TVA, mais elle doit d'abord être attribuée aux élus locaux, qui la demandaient depuis des années. L'autre bonne nouvelle est votre renoncement à la suppression de la deuxième partie de CVAE. Je rappelle que nous vous avions alertés dès l'an dernier sur la nocivité de cette suppression.

Je l'ai déjà dit : vous communiquez plutôt bien – en témoigne le titre du document de présentation de votre projet de budget « Répondre aux défis de demain » –, au point même de saturer les médias avec tous vos projets. Il est de notre devoir d'analyser votre communication et vos actes, avec pour seule grille d'analyse les besoins des Françaises et des Français et leur traduction dans ce projet de loi de finances. Le résultat d'une telle analyse est hélas insatisfaisant et votre politique déplaît, y compris dans votre propre camp, puisque nous avons voté et adopté en commission des finances des amendements proposés par des députés de la majorité. Cette opposition manifeste à votre orientation budgétaire s'est traduite par le rejet, mardi soir, de l'article liminaire de ce texte, qui résume la trajectoire de redressement des finances publiques à l'horizon 2027 et, vendredi dernier, de sa première partie, qui ne répond pas aux besoins légitimes exprimés par nos concitoyens. La situation demeurant inchangée, le groupe Écologiste – NUPES maintiendra sa position exprimée en commission des finances, pour relever les défis d'aujourd'hui sans attendre ceux de demain.

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