Quel gâchis ! Ce projet de loi, nous l'attendions avec impatience : il était censé être la transposition attendue des règlements européens visant à créer un espace numérique plus sûr, où les droits fondamentaux des utilisateurs seraient protégés. Les mineurs, les adultes, les personnes vulnérables aux addictions, celles qui tombent dans le piège d'internet et sont victimes des arnaques qui y ont cours : toutes ces personnes auraient dû être protégées par le texte. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Nous voterons donc contre le projet de loi, et je vais vous expliquer pourquoi.
Tout d'abord, vous avez souhaité protéger les mineurs en ligne. Contre qui ? Contre quoi ? Le Gouvernement ne le sait pas. Pourtant, il y a, dans ce domaine, un immense travail à accomplir. Nous avons proposé une multitude d'amendements sur la prévention, l'éducation sexuelle et la vie affective, la mobilisation des parents et des enfants et leur formation au bon usage des outils numériques. Mais aucun n'a trouvé grâce à vos yeux ! Vous êtes restés butés sur la problématique de l'accès à la pornographie, qui semble être le bouc émissaire et le seul danger d'internet pour les mineurs. Même si les dangers sont réels sur internet, le système de vérification d'âge que vous allez instaurer est un colosse aux pieds d'argile, une façade bien-pensante qui cache un monde de données interchangeables, partageables et piratables.
Depuis des années, nos établissements de santé, nos collectivités territoriales et nos grandes entreprises subissent des attaques de très grande ampleur. Ainsi, il y a un peu plus d'un mois, Pôle emploi s'est fait pirater les données d'un peu plus de 10 millions d'allocataires. Malgré tous ces risques, vous persistez à vouloir numériser les données sensibles en assignant à l'État l'objectif de créer, d'ici à 2030, l'identité numérique de chaque Française et de chaque Français, sans prévoir leur sécurisation préalable.
Ainsi, sous prétexte de vouloir protéger les mineurs et l'ensemble des citoyens des dérives et violences certaines qui existent sur internet, vous installez progressivement tous les outils pratiques, facilement détournables, d'un contrôle social de masse. Ce ne serait pas la première fois qu'on assiste au dévoiement d'une solution technologique. Les dérives et le scandale des Predator Files devraient nous alarmer.
Face à tous les dangers et violences auxquels nous expose internet, la protection des citoyens mérite une justice à la hauteur des enjeux. Or, sous prétexte de l'inefficacité de l'institution judiciaire dans les procédures de blocage de sites internet, vous la dépouillez tout simplement de ses compétences pour les confier à l'Arcom. Si la justice est inefficace, pourquoi ne pas lui donner les moyens nécessaires ? Vous en avez le pouvoir. Hélas, vous ne faites rien pour améliorer la situation. Pour apporter une réponse adaptée, il faudrait doter la justice des budgets et des effectifs adéquats.
Comme si le transfert de compétences du pouvoir judiciaire vers les administrations ne suffisait pas, vous instaurez des peines complémentaires liberticides, comme le bannissement des réseaux sociaux ou le filtre antiarnaques, totalement contraires aux libertés d'internet.
Dans ce méli-mélo législatif, vous avez curieusement inséré dans le projet de loi le fameux article « Sorare », critiqué à juste titre par plusieurs groupes parlementaires. Cet article vise en effet à légaliser les jeux à objets numériques monétisables ; le Conseil d'État avait pourtant relevé leur particulière dangerosité pour les mineurs et le risque de blanchiment d'argent qu'ils présentent. De nombreux garde-fous ont, certes, été créés, mais il n'y avait aucune urgence à légiférer en la matière, et pour cause : la loi applicable à cette activité existe déjà puisqu'il s'agit de jeux de hasard et d'argent. Cet article permettra de créer de nouvelles addictions aux jeux et à faire perdre de l'argent à ceux qui en ont le moins. Voilà comment vous protégez les citoyennes et les citoyens !
Enfin, en ce qui concerne la souveraineté des données sensibles, nous avons évolué dans le bon sens, imposant désormais aux administrations et aux opérateurs de l'État de respecter le référentiel SecNumCloud. Mais nous aurions dû aller plus loin, en imposant la territorialité du traitement des données. Il est également urgent de prendre en considération l'impact environnemental des clouds et de notre développement numérique. Croyez bien, monsieur le ministre délégué, que nous resterons à l'affût lors des négociations européennes qui se dérouleront au cours des mois à venir.
Vous l'aurez tous compris : ce projet de loi n'est, en définitive, qu'un enchevêtrement liberticide et déshumanisé de mesures cavalières,…