Internet est un espace ressemblant au far west : la légende d'une liberté totale, une violence inouïe, des possibilités et des richesses vertigineuses, l'absence de lois, et des sociétés humaines qui donnent à voir le meilleur comme le pire. Comme le far west, internet doit se plier au droit et accepter d'être encadré.
En effet, loin d'être virtuels, la violence et les trafics en ligne ont un impact sur le réel, pouvant mettre des vies en danger et affecter le destin de nos concitoyens. Dès lors, légiférer, amener de l'ordre et des règles sur internet est une obligation, une protection que nous devons à nos concitoyens. L'absence de gouvernance permet tous les abus, et encourage l'expression de toutes les violences. Face aux insultes, aux escroqueries à répétition, aux incitations à la haine et au harcèlement, nous ne pouvons laisser nos concitoyens sans protection.
Si la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres – l'adage est bien connu–, la liberté d'expression n'est pas une liberté absolue, permettant la création d'un espace où tous nos droits, dont celui à la sûreté, seraient abolis. Si l'universalité d'accès, la liberté d'expression et le partage des connaissances sont des valeurs cardinales d'internet, elles n'autorisent pas pour autant toutes les dérives. Cet équilibre précaire est le défi que le législateur doit relever : réguler sans censurer, voilà la boussole qui doit nous guider.
L'Union européenne est parvenue à préserver ce fragile équilibre en adoptant des règlements sur les marchés et les services numériques. Le projet de loi s'engage désormais dans cette même voie, qui est celle de la juste mesure. Ce n'était pourtant pas gagné. Certains ont voulu y ajouter des dispositions de nature à porter atteinte à cette pondération, telle la proposition du Président de la République de suspendre l'accès aux réseaux sociaux en cas d'émeutes ou de violences urbaines. Nous lui préférons la solution, plus consensuelle et finalement retenue, consistant à renforcer la peine de bannissement des réseaux sociaux. De même, la suppression de l'anonymat en ligne ne pouvait se décréter sur le coin de table. L'amendement du rapporteur général, déposé au cours de l'examen du texte, ne nous permettait pas d'avoir le recul nécessaire sur les effets d'une telle disposition. C'est une bonne chose qu'il ait finalement été retiré.
Nous avons pu collectivement avancer sur d'autres questions – c'est une bonne nouvelle –, afin de garantir qu'aucun jeune de moins de 18 ans ne soit exposé à des vidéos pornographiques. Les solutions ne sont ni faciles ni évidentes. Plusieurs hypothèses ont été mises sur la table, telles que l'utilisation de l'empreinte de la carte bancaire ou l'analyse du visage par une intelligence artificielle en vue d'estimer l'âge. Seule celle retenue par le texte nous semble crédible : elle consiste à utiliser un tiers de confiance pour certifier l'âge de l'internaute souhaitant accéder à un site pornographique.
En séance, des dispositions nouvelles ont été adoptées pour lutter contre les violences sexuelles en ligne. Les pouvoirs de Pharos – plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements – ont été renforcés. Cette police en ligne pourra retirer, bloquer ou déréférencer des contenus comprenant des actes de torture ou de barbarie, ou des viols. Nous avions défendu un amendement en ce sens en commission spéciale. Vous comprendrez que nous souhaitions le maintien de cet article, adopté contre l'avis du Gouvernement, dans le texte final.
Il en va de même de la création d'un délit de sextorsion, s'appliquant aux personnes faisant du chantage aux photos intimes, qui sanctionne des actes se produisant malheureusement de plus en plus souvent. Pour sanctionner les injures et les diffamations, mon collègue Christophe Naegelen a défendu la création d'une amende forfaitaire. La majorité de cette Assemblée en a décidé autrement, nous privant ainsi d'un outil efficace pour lutter contre la haine en ligne.
Du fait de l'effet de réseau, internet évolue vers une hypercentralisation, au profit de grands acteurs privés. C'est particulièrement vrai dans le secteur de l'internet en nuage – le cloud. L'Europe se trouve largement distancée par trois acteurs américains, qui mettent en œuvre des pratiques anticoncurrentielles pour surpasser les petits acteurs, voire les étouffer. Le projet de loi va dans le bon sens en abaissant les barrières à l'entrée et à la sortie mises en œuvre par les acteurs oligopolistiques.
Quelques remarques additionnelles concernant notre souveraineté numérique. L'article 10 bis A tel qu'il a été réécrit prévoit que l'État, ses collectivités et ses opérateurs veillent à ce que leurs données sensibles soient hébergées sur des clouds européens. Toutefois, la nouvelle version propose une dérogation pour tout projet en cours, ce qui limite grandement sa portée.
Par ailleurs, nous reconnaissons la spécificité des Jonum, à mi-chemin entre jeux vidéo et jeux d'argent et de hasard. Il était nécessaire de bâtir un cadre juridique adapté. Celui qui a été défini est perfectible ; travaillons notamment sur la fiscalisation des Jonum.
À l'exception de quelques dispositions, le groupe LIOT est favorable à ce projet de loi, qui instaure une régulation d'internet respectueuse des libertés fondamentales.