Cette première niche parlementaire de la législature se conclut par l'examen de la proposition de loi du groupe démocrate relative à la charge fiscale de la pension alimentaire. Avant toute chose, je tiens à saluer, madame la rapporteure, votre engagement en la matière, engagement que le Gouvernement partage. Comment pourrait-il en être autrement, étant donné la force des constats sur lesquels repose ce texte ? Depuis trente ans, le nombre de familles monoparentales n'a cessé d'augmenter ; ce cas de figure concerne aujourd'hui un quart des familles. Or, sans vouloir entrer dans le détail des raisons qui poussent les couples à se séparer, il faut savoir que ces foyers sont exposés à un risque accru de précarité : 41 % des enfants qui vivent avec un seul parent sont pauvres, contre 21 % de l'ensemble des enfants. Chose tout aussi préoccupante, cette évolution du modèle familial s'opère au détriment de l'égalité entre les femmes et les hommes : le parent isolé est une femme dans 80 % des cas.
L'accompagnement des familles monoparentales a donc constitué, sous l'impulsion du Président de la République, une priorité du précédent quinquennat. Il en est résulté des avancées majeures : augmentation de 30 % des aides à la garde individuelle d'enfant, développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle et surtout sécurisation du revenu des mères isolées grâce au service public des pensions alimentaires – un progrès social considérable. Entre 30 % et 40 % de ces pensions demeurent en effet impayées, plongeant le parent isolé dans un stress et une angoisse quotidiens. En remédiant le plus vite possible à ce phénomène, et surtout en le prévenant grâce au rôle d'intermédiaire entre les parents que joue désormais la caisse d'allocations familiales (CAF), nous luttons contre cette injustice. Les premiers fruits de cette mesure sont déjà observables : au 31 août 2022, plus de 85 000 pensions étaient intermédiées, soit une progression de plus de 200 % en un an. À compter du 1er janvier 2023, cette systématisation sera étendue à tous les autres types de décisions de justice comportant la fixation d'une pension alimentaire, ainsi qu'aux divorces par consentement mutuel. Le service public des pensions alimentaires constitue une victoire pour les mères isolées, une victoire aussi pour les parlementaires qui, comme vous, madame la rapporteure, ont plébiscité cette réforme.
Cependant, notre ambition en matière de soutien aux familles monoparentales ne peut ni ne doit s'arrêter là. Au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, bientôt soumis à votre examen, figurent, conformément aux engagements du Président de la République, trois mesures essentielles à ce sujet. Tout d'abord, nous revalorisons de 50 % l'allocation de soutien familial (ASF) : les 800 000 familles monoparentales modestes qui en bénéficient gagneront ainsi près de 740 euros par an, lesquels s'ajoutent à l'augmentation anticipée de 4 % appliquée à l'ASF dès le mois de juillet – car vous l'avez adoptée cet été, avec le reste du paquet législatif consacré au pouvoir d'achat. Au total, cette mesure représentera un effort de 850 millions d'euros pour la branche famille de la sécurité sociale.
Ensuite, nous portons de 6 à 12 ans l'âge maximal des enfants permettant aux familles monoparentales de recevoir une aide financière pour les faire garder. Nous savons à quel point l'accès aux divers modes de garde détermine pour les parents – et surdétermine pour les parents isolés – l'accès à l'emploi, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, plus largement l'insertion économique et sociale. C'est là une mesure destinée aux classes moyennes.
Enfin, par le complément de mode de garde, nous réformons les aides dans le but de diminuer le reste à charge de toutes les familles qui confient leur enfant à un assistant maternel. Cette dernière mesure, elle aussi conçue pour les classes moyennes, entraînera un gain majeur : concrètement, une mère seule dont les revenus s'élèvent à 2 500 euros et qui recourt à la garde 200 heures par mois économisera ainsi 1 900 euros par an ! Au total, plus de 1,6 milliard d'euros par an s'ajouteront aux moyens des dispositifs existants en vue de réduire les situations de pauvreté, de répondre aux préoccupations plus que légitimes de ces familles, de leur adresser un message clair : quel que soit votre parcours familial, quels que soient les accidents de la vie, nous ne cesserons d'être à vos côtés.
Grâce à l'engagement des parlementaires, nous avons ces solutions et je dirai même plus : nous avons ces résultats. Pourtant, rien ne palliera jamais tout à fait le départ parfois brutal d'un parent, la tristesse de celui qui reste, démuni face à la baisse des revenus du foyer, angoissé par les difficultés financières. Nous avons tous en tête des cas survenus dans notre entourage, notre famille, voire notre propre histoire. Ce que nous faisons ne sera probablement ni suffisant ni parfait : aucune mesure budgétaire ou fiscale ne peut rétablir le lien familial ni remédier à la douleur de tels moments.
J'en viens, madame la rapporteure, à votre proposition de loi, laquelle vise spécifiquement à donner davantage de solutions aux classes moyennes. Il faut reconnaître qu'intuitivement, elle paraît frappée au coin du bon sens. Vous proposez en effet d'inverser la logique actuelle, en vertu de laquelle le parent qui n'a pas la garde des enfants peut déduire de son revenu imposable la pension alimentaire qu'il verse à l'autre, lequel doit au contraire déclarer cette pension, en tant que revenu, à l'administration fiscale. Toutefois, vous êtes convenue en commission qu'il existait un premier écueil : imposer les parents qui versent une pension pourrait faire que des contribuables modestes deviennent imposables ou soient assujettis à un taux plus élevé. Je salue votre esprit constructif, madame la rapporteure, car vous êtes revenue sur cette disposition : dans la conjoncture actuelle, il est en effet difficile d'envisager de telles hausses d'impôts.
Reste la question des parents ayant la charge des enfants et donc bénéficiaires de la pension. Vous proposiez initialement que celle-ci soit défiscalisée, solution dont n'auraient pas particulièrement bénéficié les classes moyennes, mais plutôt les plus aisés, c'est-à-dire à ceux qui paient le plus d'impôts et touchent les pensions les plus importantes. Là encore, madame la rapporteure, vous vous êtes montrée constructive en proposant à la commission une solution de repli : maintenir l'imposition des pensions pour le parent créancier, mais en lui donnant la possibilité de déduire ce montant de son revenu fiscal de référence (RFR).
Malheureusement, si votre objectif – augmenter le pouvoir d'achat des familles monoparentales appartenant à la classe moyenne – est juste et bon, l'instrument que vous avez choisi ne peut fonctionner, en dépit du bien-fondé de votre approche. Cette mesure ouvrirait une sérieuse brèche dans le calcul du RFR, dont aucun revenu imposable n'est actuellement soustrait. Or, comme son nom l'indique, il sert de référence pour apprécier l'éligibilité à un nombre considérable d'aides et de dispositifs. En matière fiscale, sont assis sur le RFR la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, les exonérations de taxe foncière, l'exonération d'impôts des intérêts des livrets d'épargne populaire, les taux réduits de prélèvements sociaux ou encore le prêt à taux zéro. En matière non fiscale, dépendent du RFR le chèque énergie, les subventions de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'attribution des logements sociaux et des bourses, les aides financières pour la compensation du handicap, les chèques vacances, les tarifs des cantines et crèches. Il entre même dans le calcul du potentiel fiscal des communes, dont dépend la dotation globale de fonctionnement ! Les effets indésirables seraient donc incalculables. Il ne s'agit pas de s'attacher à la stabilité du RFR pour le plaisir juridique d'avoir un code des impôts en ordre : la modification de sa structure aurait des conséquences telles que les plus fins limiers de Bercy auraient les pires difficultés à la calculer étant donné le nombre et la variété des dispositifs concernés.
Pour établir un parallèle, la sortie des pensions alimentaires de la base ressources de l'ensemble des prestations sociales, qui présenterait les mêmes difficultés de principe, se traduirait par un coût de 1,3 milliard d'euros pour les finances publiques, dont 500 millions d'euros pour les départements. Ce qui est certain, c'est que cela reviendrait à créer des situations inéquitables : ainsi, à charges de foyer égales, des parents isolés percevraient un chèque énergie d'un montant plus élevé s'ils touchent une pension alimentaire que s'ils n'en touchent pas.
Madame la rapporteure, je sais que cette question vous touche et je sais combien vous souhaitez obtenir des avancées pour les centaines de milliers de mères qui assument seules la charge de leurs enfants. Au nom du Gouvernement et de mes collègues Gabriel Attal et Jean-Christophe Combe, je tiens à vous assurer de notre volonté de continuer à travailler pour améliorer les propositions qui sont faites. Si l'avis du Gouvernement est défavorable sur ce texte, son soutien aux familles monoparentales est et restera – permettez-moi de le rappeler – une priorité absolue.