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Intervention de Jean-Luc Fugit

Réunion du lundi 9 octobre 2023 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, rapporteur pour avis :

Avec le projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement poursuit le déploiement de sa politique de transition écologique : ambitieuse, elle exige d'agir sur plusieurs leviers technologiques et d'entraîner l'adhésion progressive de tous les secteurs de notre société. Depuis plusieurs années, notre commission se saisit d'articles de la première partie du PLF, afin d'évaluer la participation de la fiscalité à la transition écologique. Cette année, elle s'est saisie des articles 5, 12, 13, 14, 15 et 16. Je reviendrai brièvement sur chacun d'entre eux.

Conformément aux annonces faites lors de la présentation du projet de loi relatif à l'industrie verte – en cours d'examen –, l'article 5 prévoit la création d'un crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte, le C3IV. Son objectif est de contribuer au développement des secteurs stratégiques pour la transition vers une économie décarbonée – production de batteries, de panneaux solaires, de turbines éoliennes et de pompes à chaleur.

Cet article s'inscrit dans le cadre de l'encadrement temporaire de crise et de transition adopté par la Commission européenne le 9 mars dernier. Il donne aux États membres de l'Union européenne la possibilité d'octroyer des aides supplémentaires, soutenant directement les investissements productifs dans des biens stratégiques nécessaires à la transition. Ce soutien est circonscrit à six domaines stratégiques : quatre d'entre eux figurent dans l'article 5, à l'exception de l'hydrogène et des technologies de capture de carbone. Pour bénéficier de ce crédit d'impôt, les entreprises devront faire valider leur dossier auprès du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de l'Agence de la transition écologique (Ademe).

Selon l'étude d'impact présentée par le Gouvernement, le C3IV devrait permettre de générer environ 23 milliards d'euros d'investissements et de créer environ 40 000 emplois directs sur le territoire national, d'ici 2030. La dépense fiscale générée par le C3IV serait comprise entre 2,9 et 3,6 milliards d'euros, soit environ 500 millions d'euros par an. Grâce à la relocalisation ou la localisation en France d'activités industrielles vertes, le C3IV permettrait, selon les premières estimations, d'éviter l'émission de 50 millions de tonnes équivalent CO2. Il s'agit donc d'une mesure utile, tant sur le plan environnemental qu'économique : cela doit collectivement nous réjouir.

J'en viens à l'article 12. Il regroupe des mesures d'ordre technique, concernant principalement deux secteurs : l'agriculture et le bâtiment ; les travaux publics. Les professionnels de ce secteur bénéficient actuellement, pour leurs engins de travaux agricoles et de chantier, de tarifs réduits sur le gazole non routier (GNR), très éloignés de ceux payés par les transporteurs routiers. Pour inciter ces deux secteurs à procéder à leur décarbonation, l'article 12 prévoit le relèvement progressif des tarifs du gazole que les professionnels acquittent, à compter de 2024 et jusqu'en 2030. Ce relèvement se fera en sept étapes et aura pour objectif – par un signal prix – d'inciter les entreprises à investir progressivement dans des matériels moins émetteurs de gaz à effet de serre.

Pour que le dispositif fonctionne, il conviendra que les équipementiers mettent sur le marché une offre croissante d'engins de travaux décarbonés : si l'offre existe, elle doit impérativement se développer. À la différence des automobilistes, qui recherchent une autonomie à une distance, les professionnels de ces secteurs ont surtout besoin de puissance, pour lever des charges ou travailler les sols.

En contrepartie, les exploitants agricoles bénéficient de dispositifs de compensation, avec l'élargissement des possibilités de déductions offertes en cas d'épargne de précaution et de plus-values professionnelles. Cela devrait leur permettre de dégager plus de trésorerie pour investir dans de nouveaux matériels.

L'article 12 procède également à une mise à jour législative s'agissant des entreprises relevant du système européen d'échange de quotas de gaz à effet de serre. Ces entreprises – de grandes consommatrices d'énergie opérant dans les domaines de la sidérurgie, la métallurgie ou encore la chimie – avaient recours, dans le passé, à plus d'une douzaine de combustibles dérivés du pétrole et du gaz ; elles ont cessé, depuis plusieurs années, d'utiliser certains d'entre eux, comme le fioul lourd. Il est donc logique de supprimer les tarifs réduits sur ces combustibles.

Enfin, plusieurs d'entre nous ont relevé une disposition étrange : l'alourdissement de la fiscalité pesant sur les véhicules des services et associations qui se consacrent à la prévention et à la lutte contre les incendies de forêt. Ce dispositif va à l'encontre de la volonté du Parlement, exprimée en juillet dernier, lors des débats sur la prévention des incendies de forêt. Nous devons aider les femmes et les hommes qui contribuent à protéger nos forêts, et non entraver leur action. Je propose donc, avec d'autres collègues issus de plusieurs groupes, la suppression de ce dispositif malvenu.

L'article 13 vise à décarboner progressivement le secteur des transports, pour atteindre l'objectif européen de 14 % de consommation d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans les transports. Pour cela, il modifie la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports (Tiruert). Il s'agit de mécanismes incitatifs permettant d'assurer un pourcentage minimum d'énergies renouvelables, face à l'essence, au gazole et au carburéacteur. Notons que notre commission avait déjà émis un avis sur ce point lors du précédent PLF.

Dans le PLF pour 2024, le Gouvernement propose des objectifs d'incorporation de biocarburants plus ambitieux, et modifie en conséquence les plafonds d'incorporation de certaines matières premières. Il supprime également la possibilité de double compte pour les carburéacteurs : ils devront désormais être comptabilisés selon leur incorporation réelle. Pour maintenir l'incitation fiscale sur les carburéacteurs et éviter l'exportation de biocarburants produits en France vers d'autres pays, le tarif de la taxe est augmenté.

J'en arrive à l'article 14, qui cible le verdissement progressif du parc automobile des particuliers et des entreprises, dans l'esprit de la trajectoire inscrite dans la loi d'orientation des mobilités de 2019 et la loi « climat et résilience » de 2021 ; elle prévoit, en France, la fin de la vente de véhicules neufs à énergies fossiles d'ici à 2040. Pour 2024, le Gouvernement souhaite renforcer les dispositifs de malus existants pour les véhicules et inciter davantage à la transition vers des véhicules peu émetteurs de CO2 et de polluants de proximité. Ainsi, le seuil de déclenchement du malus CO2 à l'immatriculation sera revu à la baisse – le seuil du « malus masse » passera de 1,8 à 1,6 tonne –, tandis que son tarif augmentera. Pour les véhicules d'entreprise, la taxe annuelle sur les émissions de CO2 sera révisée, avec une trajectoire pluriannuelle plus ambitieuse. La taxe annuelle sur l'ancienneté des véhicules sera remplacée par une taxe sur les émissions de polluants atmosphériques – particules fines et oxyde d'azote –, basée sur des catégories de véhicules en accord avec les vignettes Crit'Air. Enfin, au regard des émissions de dioxyde de carbone des véhicules hybrides, l'exonération dont ils bénéficient sera supprimée au profit d'abattements spécifiques.

J'en viens à l'article 15. D'une part, il vise à répondre à l'impératif politique affirmé par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), présidé par notre collègue député David Valence : dégager environ 175 milliards d'euros d'ici à 2032, pour rénover et développer nos transports ferroviaires, de proximité comme de longue distance. La Première ministre a suivi les préconisations du COI, en lançant, le 24 février dernier, un plan d'action de 5 milliards d'euros d'ici à 2040, en précisant que les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre – autoroutes et transport aérien – devraient y contribuer.

D'autre part, les clauses des contrats autoroutiers rendent difficile un alourdissement de la fiscalité sur les sociétés d'autoroutes sans leur attribuer de compensation. Or celle-ci se traduit le plus souvent par l'augmentation des péages, au détriment du pouvoir d'achat de nos concitoyens. Dans son avis du 8 juin dernier, le Conseil d'État n'a pas dénié le droit au Gouvernement de taxer les autoroutes, mais l'a mis en garde sur les conditions juridiques à respecter. Le Gouvernement a donc préféré instaurer une taxe à l'assiette élargie à tous les exploitants d'infrastructures de transport de longue distance – autoroutes, gares, ports et aéroports. Il fixe ensuite les conditions d'exigibilité de la taxe, soit un minimum de 120 millions d'euros de revenus d'exploitation et une rentabilité de 10 %, lissée sur sept ans, deux critères permettant de limiter la perception de la taxe à de grands contributeurs – huit sociétés d'autoroute et les quatre aéroports de Lyon, Marseille, Nice et Paris. Le Gouvernement prévoit un rendement annuel de 600 millions d'euros – dont 80 % en provenance des autoroutes et 20 % des aéroports –, affectés à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). Il ne fait nul doute que les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui anticipent une perte de confiance des investisseurs envers l'État, contesteront ce dispositif d'un point de vue juridique.

Le rôle notre commission est de faire progresser toute action qui favorise la décarbonation de nos activités. La mesure proposée altère bien évidemment la rentabilité des autoroutes comme celle des aéroports concernés, sans pour autant générer un déficit d'exploitation important. Surtout, cette mesure présente l'intérêt de garantir aux transports ferroviaires des ressources nouvelles, donc une visibilité supplémentaire sur l'avenir. Au-delà de ses effets juridiques et financiers, ce dispositif symbolise les efforts que chaque secteur doit accomplir, pour une transition écologique effective.

Enfin, l'article 16 acte une réforme des redevances versées aux agences de l'eau, attendue depuis plusieurs années. Les redevances posent en effet deux problèmes principaux. D'une part, les taxes et redevances payées par les particuliers, qui consomment seulement 20 % de l'eau en France, représentent près de 83 % des recettes des agences de l'eau, contre seulement 6 % pour l'industrie et 6 % pour l'agriculture. D'autre part, le principe du pollueur-payeur semble être insuffisamment établi, s'agissant de la fiscalité de l'eau. La redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique, assise sur les volumes d'eau facturés à l'abonné, s'inscrit en effet dans une logique fiscale de rendement, plutôt que de taxation environnementale. Il est proposé que soit désormais redevable de cette redevance la collectivité territoriale maître d'ouvrage du système d'assainissement, et non plus l'usager domestique. Il s'agit ainsi de transférer la charge vers l'acteur qui a une capacité d'action directe pour appliquer le principe du pollueur-payeur.

L'article 16 prévoit également une hausse de la redevance pour pollution diffuse, qui rapportera 36 millions d'euros supplémentaires. Enfin, la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau sera modifiée et rééquilibrée en profondeur, pour procurer 132 millions d'euros supplémentaires. Les coûts supplémentaires pour les assujettis seront répartis à hauteur d'au moins 2 millions d'euros pour les collectivités, 11 millions d'euros pour les agriculteurs, 20 millions d'euros pour les industriels et 100 millions d'euros pour les énergéticiens. Ce sont donc les énergéticiens qui paieront le plus, par exemple pour le refroidissement des centrales nucléaires.

Au total, la recette supplémentaire pour les agences de l'eau sera d'environ 168 millions d'euros, soit près de la moitié des 325 millions d'euros d'augmentation du budget de ces opérateurs. Le reste sera fonction des modulations et des redevances décidées par chaque agence sur le territoire. L'article 16 permet donc d'accroître le signal prix sur les prélèvements et la pollution, et d'opérer un rééquilibrage de l'effort entre usagers, conformément aux annonces du Président de la République en mars dernier, dans le cadre du plan Eau. Cela permettra aux agences de l'eau de bénéficier de ressources supplémentaires utiles, dans un contexte de tensions sur la ressource en eau.

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