Intervention de Damien Adam

Réunion du mercredi 4 octobre 2023 à 15h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam, rapporteur :

La proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter porte sur un sujet bien identifié par le grand public : les conséquences des grèves des contrôleurs aériens français. Ces mouvements sociaux, qui déstabilisent le trafic aérien et pénalisent les voyageurs, ne datent pas d'hier, mais les dysfonctionnements découlant des grèves intervenues au premier semestre 2023, dans un contexte de contestation sociale de la réforme des retraites, ont mis en lumière les limites du cadre juridique actuel.

Certes, les organisations syndicales sont tenues de déposer un préavis de grève cinq jours avant le début du mouvement, mais la direction générale de l'aviation civile (DGAC) n'a aucun moyen de connaître précisément le nombre de contrôleurs qui participeront à la grève. Cette absence de visibilité et de prévisibilité est particulièrement préjudiciable lors des préavis de grève nationaux de la fonction publique, qui ne sont pas nécessairement relayés par les syndicats représentatifs au sein de la DGAC. Cela conduit à deux situations opposées, également insatisfaisantes.

Pour éviter de devoir annuler des vols à la dernière minute, la DGAC privilégie fréquemment les annulations préventives. Ces dernières sont souvent plus étendues que ce qui aurait été nécessaire : même si la grève est en réalité très peu suivie, un simple préavis suffit à avoir un impact massif et dommageable sur l'activité du transport aérien.

À l'inverse, la DGAC peut anticiper la grève de manière trop optimiste, en prévoyant un nombre de grévistes inférieur au nombre réel, et donc en annulant moins de vols que ce qui aurait été nécessaire. Dans ce cas, l'administration est contrainte d'annuler des vols à la dernière minute, ce qui désorganise le trafic aérien et pénalise les passagers.

Cette incertitude est également néfaste pour les contrôleurs aériens eux-mêmes, qui sont soumis au service minimum depuis 1985 et peuvent à ce titre être réquisitionnés. Ainsi, après les grèves inopinées de février dernier, qui ont entraîné d'importantes perturbations, le service minimum a été maintenu tout au long du printemps, alors qu'il n'était pas forcément nécessaire. Les agents réquisitionnés, qui auraient peut-être souhaité exercer leur droit de grève, ont dû se rendre sur leur lieu de travail alors que leurs services n'ont finalement pas été requis. Cette situation, liée au manque de prévisibilité de l'ampleur d'un mouvement social, contribue à dégrader le dialogue social et les conditions de travail.

Cette situation ubuesque vient principalement du fait que les contrôleurs aériens sont exemptés de l'obligation de déclaration individuelle de grève, alors que tous les autres salariés du secteur aérien dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols y sont assujettis depuis la loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports de 2012, dite « loi Diard ».

Les annulations de vols dues à l'ignorance du nombre précis de grévistes ont des conséquences négatives en termes d'organisation et de coûts, mais aussi du point de vue environnemental.

Les voyageurs se trouvent parfois déjà à l'aéroport et ne peuvent pas toujours prévoir de solution alternative. Cette situation est source de complications organisationnelles et logistiques pour les aéroports et les compagnies aériennes, mais aussi d'incivilités de la part de passagers mécontents. Depuis le début de l'année 2023, près de 600 vols ont ainsi dû être annulés à Orly alors que les passagers se trouvaient déjà à l'aéroport.

Les grèves perturbent toute l'activité du secteur aérien. Les annulations de vols provoquent des retards en cascade, lorsque les vols sont maintenus, et entraînent l'annulation des vols en correspondance ou de ceux qui empruntent l'espace aérien français sans s'arrêter sur notre sol. Le trafic aérien européen, dans son ensemble, se trouve ainsi perturbé.

Les conséquences financières sont particulièrement lourdes. Pour ce qui est des seules recettes de la navigation aérienne, une journée de grève du contrôle aérien correspond à une perte de redevances estimée entre 3 et 4,5 millions d'euros. Les coûts financiers subis par les compagnies aériennes sont également considérables puisque, d'après les statistiques d'Eurocontrol sur les jours de grève enregistrés depuis 2014 en France, en Grèce, en Italie et en Espagne, le coût d'une minute de retard est estimé à 110,50 euros et celui d'un vol annulé à 17 600 euros. Cela affecte particulièrement les compagnies aériennes françaises. Le groupe Air France est de très loin l'opérateur le plus fortement touché par les récentes grèves du service de contrôle de la circulation aérienne français.

Enfin, les grèves tendent à alourdir l'empreinte carbone du secteur aérien. Eurocontrol estime ainsi qu'entre le 7 mars et le 9 avril 2023, 96 000 kilomètres supplémentaires ont été parcourus chaque jour de grève pour contourner l'espace aérien français, ce qui a engendré la combustion de 386 tonnes de carburant supplémentaires et l'émission de 1 200 tonnes de CO2.

Ces effets sont d'autant plus marqués que les contrôleurs aériens français sont bien plus souvent en grève que leurs voisins européens. Une étude sur les grèves du contrôle aérien en Europe entre 2005 et 2016 a ainsi fait état de 249 jours de grève en France, 44 jours en Grèce et 34 jours en Italie, les autres États membres comptabilisant moins de 10 jours. Entre janvier et août 2023, on a dénombré 56 jours de grève des contrôleurs aériens français, ce qui correspond à 99,2 % de l'ensemble des grèves de la zone Eurocontrol sur cette période. Il est à noter que les grèves des contrôleurs français ont représenté sur cette période 44,7 % des retards de vols en France et 15,1 % des retards de la zone Eurocontrol.

Selon l'Association internationale du transport aérien (Iata), 4 500 vols ont été annulés pour l'ensemble des compagnies opérant en France au mois de mars 2023. Le groupe Aéroports de Paris nous a quant à lui indiqué que 470 000 passagers ont été empêchés de voyager au départ ou à l'arrivée des aéroports parisiens au premier trimestre 2023.

La proposition de loi que nous examinons tente de remédier à ces difficultés. Je tiens à saluer son auteur, notre collègue sénateur Vincent Capo-Canellas, qui, depuis une mission d'information sur la modernisation des services de la navigation aérienne en 2018, a approfondi le sujet pour y apporter une réponse équilibrée. Le texte doit permettre d'assurer une meilleure adéquation entre l'ampleur du mouvement social et la réduction du trafic aérien, tout en garantissant le respect du droit de grève des agents.

Son article unique institue, pour les contrôleurs aériens, une obligation de déclaration individuelle de participation à la grève deux jours avant le mouvement social. Des dispositions similaires s'appliquent déjà, depuis 2007, aux agents indispensables à l'exécution des services publics de transport terrestre, ainsi que, depuis 2012, à tous les autres agents du transport aérien dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols.

Grâce aux informations obtenues, l'administration sera en mesure de décider, au plus tard l'avant-veille de la journée de grève à dix-huit heures, de la mise en place d'un service minimum adapté correspondant à l'ampleur du mouvement social. Les compagnies aériennes pourront prévenir les voyageurs au plus tard la veille de l'annulation de leur vol, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. La prévisibilité accrue du trafic permettra de mettre fin aux annulations « à chaud » de vols, aux conséquences particulièrement dommageables.

Je veux insister sur le fait que non seulement cette proposition de loi ne remet pas en cause le droit de grève, mais qu'elle le rend encore plus effectif. En effet, en l'absence de préavis individuel de grève, les réquisitions de contrôleurs sont décidées quel que soit le nombre réel de grévistes, lequel n'est pas connu de l'administration. La mise en place d'astreintes a priori prive les agents concernés de la possibilité de faire grève. Si le nombre d'agents non grévistes était connu au préalable, le service minimum pourrait peut-être être assuré sans avoir recours aux astreintes.

Je vous invite à voter cette proposition de loi essentielle, en espérant que nos travaux soient aussi constructifs et apaisés qu'au Sénat, qui a adopté le texte en juin dernier.

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