Je trouve cette proposition de loi intéressante et même d'utilité publique.
Il faut dire que vous avez le sens des priorités et du timing : alors que certains, aux frontières de l'Europe, sont plongés dans le malheur et vivent des situations dramatiques qui appelleraient plutôt à faire preuve de solidarité et d'humanité, vous proposez de suivre une logique froide et comptable. Priorité nationale, d'abord, et considérations conventionnelles et constitutionnelles après, pour ne pas dire jamais. Vous répondrez peut-être que gouverner, c'est prévoir, mais que prévoyez-vous pour les présumés non mineurs non accompagnés qui auraient le malheur de franchir nos frontières à leurs risques et péril ? Vous semblez avoir choisi, comme vous le faites bien souvent, de ne regarder la question que par le petit bout de la lorgnette et en faisant fi des principes fondamentaux de notre droit. L'exposé des motifs de votre proposition de loi aurait pu être le suivant : cachez cette Constitution et ces accords européens que nous ne saurions voir !
Les Français, nombreux, qui nous suivent en ce moment sont des témoins privilégiés de la qualité des propositions que vous faites en réponse à la crise migratoire. Le dernier rapport d'activité de la mission mineurs non accompagnés souligne que nos territoires rencontrent quatre difficultés principales : augmentation de l'arrivée de très jeunes ; recrudescence de suspicions de cas de traite des êtres humains ; déserts médicaux ; situations d'errance. Vous proposez, pour y répondre, de « rationaliser » les garanties constitutionnelles fixées en 2019 s'agissant du régime de détermination de la minorité, en consacrant une présomption de majorité. Après tout, en effet, l'irrégularité du séjour ne conduit-elle pas à retenir une présomption de fraude ?
Quant à l'intervention de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés fondamentales de tout individu, fût-il étranger, pourquoi s'en encombrer ? L'exercice, d'office, d'un pouvoir discrétionnaire pourrait bien suffire et serait bien plus efficace. Quant à la condition de n'utiliser qu'en dernier recours les tests osseux, dont le caractère faillible est confirmé par toute la littérature scientifique, pourquoi devrions-nous nous en embarrasser ? Et pour quelles raisons devrait-on rechercher un consentement libre et éclairé lors d'un examen médical ? Cela ne vaut, peut-être, que lorsqu'on impose une expertise psychiatrique – vous n'êtes pas à une contradiction près. En ce qui concerne le renversement de la présomption de minorité au profit d'une présomption de majorité, là aussi pourquoi s'embêter avec le principe de la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ? Pour ce qui est de la suppression de l'interdiction de l'examen du développement pubertaire il est heureux, en revanche, qu'un petit moment de lucidité ait conduit au dépôt, hier, à la dernière minute, d'un amendement tendant à la rétablir. S'agissant enfin du deuxième volet de la proposition de loi, qui met sous conditions la protection dans le cadre de l'ASE, nos débats démontreront votre cynisme.
Si nous avions un doute sur votre capacité à gouverner avec pragmatisme et dans le respect des principes conventionnels et constitutionnels, vous nous permettez fort heureusement, une énième fois, de le dissiper. Chers collègues du Rassemblement national, sachez que vous nous trouverez nombreux sur votre chemin lorsqu'il s'agira de garantir l'effectivité des droits et des libertés de tout individu, majeur, mineur, français ou étranger. Si ce texte, en l'état, recueille l'adhésion de collègues siégeant sur d'autres bancs, nous nous y opposons fermement, comme nous nous opposerons à toutes vos attaques contre nos valeurs républicaines, démocratiques et humanistes.