Intervention de Ludovic Mendes

Réunion du mercredi 4 octobre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLudovic Mendes :

Cette proposition de loi témoigne de l'approche simpliste et néfaste pour l'État de droit qui caractérise les projets du Rassemblement national.

L'article 1er tend à réécrire l'article 388 du code civil, en particulier ses alinéas relatifs à la détermination de l'âge d'un mineur qui n'est pas en mesure de prouver son âge par un document d'identité valable. Par ailleurs, l'article 2 vise à compléter l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, en précisant qu'un mineur qui n'a pas la nationalité française ne peut être pris en charge dans les conditions prévues par cet article s'il n'a pas été procédé à une vérification préalable de la réalité de son état de minorité. Pour faire simple, sans test osseux, le mineur ne pourra pas bénéficier de la protection de l'aide sociale à l'enfance.

Par ces deux articles, le Rassemblement national va à l'encontre de la Constitution française, de la Charte européenne des droits de l'enfant, du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, du Haut Conseil de la santé publique, du Défenseur des droits, de l'Académie nationale de médecine et j'en passe. Partout en Europe, les associations de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l'âge exact d'un enfant, mais uniquement de procéder à une estimation, avec une marge d'erreur de deux à trois ans.

En 2005, déjà, le Comité national consultatif d'éthique (CCNE) avait confirmé « l'inadaptation des techniques médicales utilisées actuellement aux fins de fixation d'un âge chronologique ». Dans son avis, le CCNE « ne récuse pas a priori leur emploi, mais suggère que celui-ci soit relativisé de façon telle que le statut de mineur ne puisse en dépendre exclusivement. […] L'important est de protéger les enfants, non de les discriminer, ce qui renforce le rôle d'écoute du corps médical, même requis aux fins d'expertise ». Le CCNE avait révélé, par ailleurs, l'existence d'« un risque d'erreur majeur à l'égard des enfants non caucasiens, originaires d'Afrique ou d'Asie, dont le développement osseux peut être tout à fait hétérogène par rapport aux références anglo-saxonnes ».

Dans un rapport de 2007, l'Académie nationale de médecine a confirmé que la lecture de l'âge osseux permet d'apprécier avec une bonne approximation l'âge de développement d'un adolescent en dessous de 16 ans. En revanche, cette méthode ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans.

S'agissant du cas spécifique de l'évaluation de la minorité d'un jeune étranger isolé, le Haut Conseil de la santé publique a estimé que le consentement de la personne concernée est nécessaire, que l'examen médical ne doit intervenir qu'en dernier ressort, après une évaluation sociale et l'examen des documents d'état civil, que l'estimation d'un âge osseux ne permet pas de déterminer l'âge exact du jeune lorsqu'il est proche de la majorité légale et que la détermination d'un âge physiologique sur le seul fondement d'un cliché radiologique est à proscrire.

De plus, dans une décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a consacré l'existence d'une exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et rappelé les garanties applicables en cas d'examen radiologique osseux pour déterminer l'âge d'une personne.

La Cour européenne des droits de l'homme s'est également prononcée sur la question. Dans une décision du 21 juillet 2022, elle a confirmé à la fois la nécessité de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant et l'existence d'une présomption de minorité – et non de majorité –, pour les personnes non accompagnées, ce qui entre en contradiction avec les dispositions de la présente proposition de loi.

Enfin, il ressort des travaux menés par différentes autorités, à la fois médicales et éthiques, que les résultats de ces tests sont d'une grande incertitude quant à la détermination de l'âge, surtout pour les mineurs de plus de 15 ans. Il a été établi, en outre, que les interprétations des résultats sont sujettes à des écarts importants selon les praticiens, en l'absence de protocole unique. Aucune méthode de détermination de l'âge, qu'elle soit utilisée isolément ou de façon combinée, ne fournit actuellement des informations scientifiques suffisamment fiables et précises pour déterminer l'âge biologique du mineur évalué.

Cette proposition de loi est ainsi inconstitutionnelle et antieuropéenne, contraire aux droits des enfants, contraire à la nécessité d'un consentement préalable et d'un examen médical, contraire à l'État de droit, contraire au code civil, contraire au code de l'action sociale et des familles, contraire aux droits de la défense, contraire aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, contraire à la science et immorale. Aussi comprendrez-vous que nous votions contre ce texte.

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