Je vous remercie de m'accueillir dans votre commission en tant que rapporteure de cette proposition de loi, qui est un texte d'importance. Elle vise en effet à renforcer le contrôle des déclarations de minorité des étrangers, dans un triple contexte.
Tout d'abord, notre pays enregistre des arrivées toujours plus importantes de mineurs isolés étrangers, dits mineurs non accompagnés (MNA). De quelques centaines en France au cours des années 1990, leur nombre est passé à 4 000 en 2010 et à 28 000 en 2018. Selon les projections, les « flux » de MNA confiés aux départements, sur décision judiciaire, se seraient élevés à 17 000 entre janvier et août 2023, contre 9 500 pour toute l'année 2021. Dans les seules Alpes-Maritimes, 4 736 MNA ont été pris en charge durant cette période, contre 4 808 pendant la totalité de l'année 2022. Pour rappel, 95 % de ces MNA sont des garçons et 60 % d'entre eux ont entre 16 et 18 ans.
En second lieu, de nombreux rapports ont pointé du doigt le lien entre la présence de MNA sur notre sol et la problématique de la délinquance. D'après un rapport de 2021 de nos anciens collègues Antoine Savignat et Jean-François Eliaou, les MNA représenteraient 30 % des mis en cause dans les vols par effraction à Paris, 44 % dans les vols à la tire et 32 % dans les vols avec violence.
Enfin, le dispositif actuel d'évaluation de la minorité des étrangers se déclarant MNA est défaillant. La détermination de l'âge s'appuie, en l'état du droit, sur un faisceau d'indices qui résulte d'une procédure faisant appel à une expertise documentaire, à une évaluation sociale et, subsidiairement, à des examens radiologiques des os, les fameux « tests osseux ». L'évaluation sociale est un dispositif pertinent, qui repose sur une série d'entretiens pluridisciplinaires visant à comparer l'âge allégué du migrant avec son apparence physique, son comportement ou encore sa capacité de raisonnement, mais cette évaluation est trop subjective et ne saurait donc se substituer aux examens scientifiques que sont les examens radiologiques. Ceux-ci, hélas, sont assez rarement utilisés – j'y reviendrai.
Avant de préciser en quoi le dispositif juridique encadrant le recours aux examens radiologiques osseux doit être repensé, je rappelle que l'évaluation de la minorité du migrant se déclarant MNA joue un rôle primordial. En effet, elle trace une ligne de partage entre deux régimes juridiques diamétralement opposés.
En matière de droit des étrangers, alors qu'un individu majeur peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement, le migrant déclaré MNA ne peut se voir appliquer ni une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ni une mesure d'expulsion. Le MNA bénéficie, en outre, de conditions facilitant l'obtention d'un titre de séjour lorsqu'il atteint la majorité. En d'autres termes, il s'installe durablement, pour ne pas dire définitivement, sur notre territoire.
De surcroît, le migrant déclaré MNA est pris en charge par le service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Il est ainsi hébergé et il bénéficie d'un accès aux soins et à l'éducation et éventuellement d'un soutien psychologique ou d'une formation professionnelle. Dans le département des Alpes-Maritimes notamment, le coût moyen de prise en charge d'un MNA est de 50 000 euros par an pour le contribuable.
Enfin, le MNA bénéficie de l'application de dispositions moins sévères dans le cadre de la justice pénale des mineurs, ce qui n'est pas un aspect anodin compte tenu des liens entre la présence de MNA sur notre sol et les problèmes de délinquance.
Il résulte de ces différences entre les régimes juridiques applicables que l'évaluation de l'âge doit être la plus précise et la plus fiable possible. Or, le recours aux examens radiologiques, déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel datant de 2019, est entouré de conditions bien trop strictes.
Celles-ci, qui doivent toutes être réunies, sont au nombre de quatre : l'intéressé doit être dépourvu de documents d'identité valables, l'âge qu'il allègue ne doit pas être vraisemblable, seule l'autorité judiciaire peut autoriser le recours à ces examens, et la personne concernée doit donner son consentement. En conséquence, ce dispositif est largement sous-utilisé. Le ministère de la justice n'a pas été en mesure de nous communiquer les chiffres exacts, malgré différentes demandes, mais la faiblesse du recours aux examens radiologiques a été unanimement soulignée lors des auditions.
Il nous apparaît dès lors indispensable de rénover le dispositif juridique actuel de deux manières : d'abord, en réduisant de moitié le nombre de conditions, par la suppression de l'intervention de l'autorité judiciaire et de la mention selon laquelle l'intéressé doit être consentant ; ensuite et surtout, en prévoyant que tout refus d'un tel examen entraînera une présomption de majorité. Cet ajout est indispensable pour assurer l'efficacité du dispositif. Sinon, le migrant se sachant majeur n'aura qu'à refuser les examens radiologiques et pourra indûment être déclaré mineur si l'évaluation sociale va en ce sens. Il ne s'agira pas de procéder à des examens radiologiques osseux sous contrainte, mais de considérer, sauf démonstration du contraire, que le migrant refusant l'examen est majeur.
Je précise, pour la bonne information de chacun, qu'un « test osseux », comme nous l'avons écrit dans l'exposé des motifs, n'est en réalité qu'une radiographie ou un scanner – de trop nombreuses confusions ont lieu en la matière.
Par ailleurs j'ai constaté qu'il était indiqué, dans de multiples amendements, qu'un examen radiologique osseux présentait une marge d'erreur trop importante. Les auteurs de ces amendements se sont fondés sur des rapports surannés, alors que la science évolue, et vite.
J'ai ainsi auditionné, lors de mes travaux préparatoires, le docteur Bernard Marc, chef du service des urgences médico-légales du Grand Hôpital de l'Est francilien, qui nous a présenté une étude clinique visant à évaluer l'âge à partir d'un scanner de la clavicule. Depuis la crise sanitaire, les services hospitaliers disposent d'une base de données de plusieurs centaines de scanners réalisés sur de jeunes personnes réunissant tous les critères des migrants se déclarant MNA – une population jeune, ethniquement variée et originaire d'Afrique. Deux juridictions sollicitent déjà le Grand Hôpital de l'Est francilien : le tribunal de Meaux, en Seine-et-Marne, et celui de Paris, territoire où la délinquance des MNA est la plus importante. Cinq à six demandes d'examen sont ainsi reçues chaque semaine par l'hôpital.
J'aurai l'occasion d'y revenir plus précisément lors de l'examen des amendements, mais la marge d'erreur a été ramenée de vingt-quatre mois à seulement deux à six mois en passant des examens radiologiques de la main et du poignet gauche au scanner de la clavicule – c'est une avancée très importante – et la marge d'erreur pourrait encore être réduite. Le recours à l'intelligence artificielle, envisageable prochainement, pourrait permettre de la rendre quasi nulle.
Dans ces conditions, le dispositif que nous présentons semble pertinent et souhaitable à plusieurs égards.
Il est dans l'intérêt supérieur des enfants confiés à l'ASE que l'on ne fasse pas cohabiter dans un même espace de vie des mineurs et des majeurs indûment déclarés mineurs. L'article 2 prévoit ainsi que, pour que l'intéressé soit pris en charge par l'ASE, sa minorité devra avoir été vérifiée dans les conditions fixées par l'article 388 du code civil tel qu'il est réécrit par l'article 1er de la proposition de loi.
L'intégrité de nos frontières requiert, par ailleurs, que l'on puisse identifier les étrangers majeurs sans titre de séjour, afin de procéder à leur éloignement.
Ensuite, la protection de la sécurité des Français demande, de façon impérieuse, que les migrants délinquants et majeurs soient jugés par la justice des majeurs.
La préservation du budget de nos départements suppose, enfin, de réserver nos généreux et coûteux dispositifs d'aide sociale à l'enfance aux seuls véritables mineurs.