Ce n'est qu'un rapport, certes, mais j'estime que ce travail est très important parce qu'il a été approfondi, sans tabou. J'ai eu l'occasion, sous la précédente législature, d'être chargé d'un rapport avec Jean-Paul Mattei et j'ai apprécié son ouverture d'esprit tout comme j'ai apprécié celle du rapporteur général lors de notre travail commun sur la fiscalité des entreprises.
Je connais bien l'équité de Jean-Paul Mattei et de Nicolas Sansu. Je pense que ce système qui vise à constituer des binômes de rapporteurs de la majorité et des oppositions est efficace. C'est un rapport de qualité qui nous est présenté dans ce cadre.
Ce rapport couvre un champ fiscal très large puisqu'il ne se contente pas d'examiner la fiscalité pesant sur la détention et la transmission du patrimoine. Il s'intéresse également aux revenus générés par ce patrimoine.
Il rappelle que la répartition du patrimoine est de plus en plus inégalitaire. Ce constat se fonde sur plusieurs données très documentées aux niveaux national et international. Il me semble important de nous remémorer certaines d'entre elles avant tout débat objectif. Début 2021, 92 % de la masse du patrimoine brut sont détenus par la moitié la mieux dotée des ménages. Les 5 % les mieux dotés détiennent un tiers des avoirs patrimoniaux (34 %). Le 1 % les mieux dotés en concentre 15 %. Entre 1998 et 2018, le patrimoine brut moyen des 10 % des ménages les moins dotés a diminué de 48 % alors que celui des 10 % des ménages les mieux dotés a augmenté de 119 %. Compte tenu des modifications récentes de la loi, je doute que cette trajectoire se soit infléchie. Alors que parmi les 10 % de ménages les plus modestes 65 % ne possèdent aucun logement, 9 % de multipropriétaires, qui possèdent au moins quatre logements, détiennent 31 % du parc locatif privé. Ce rappel est important parce que la concentration de richesse remet en cause notre pacte social.
Si les inégalités de patrimoine se transmettent d'une génération à l'autre, et donc s'amplifient, comment pouvons-nous accepter un système qui n'apporte pas de réponse aux difficultés à se loger, se nourrir ou se soigner, c'est-à-dire à des besoins fondamentaux ? Comment pouvons-nous accepter de demander aux plus démunis de participer à l'effort nécessaire à la transition écologique, alors que ceux qui peuvent le plus ne font pas plus ? Une société qui permet à une minorité toujours plus petite d'hériter des richesses pendant que la quasi-totalité se voit léguer une dette climatique n'est pas acceptable. Les fondations des principes républicains sont ainsi minées.
Je rappelle - et le chef de l'État l'a confirmé à plusieurs reprises - que sur la question climatique nous sommes en guerre. Si nous sommes en guerre, il importe de procéder à des modifications fiscales importantes. L'impôt sur le revenu est né de la Première Guerre mondiale. Je me félicite donc que ce rapport contienne une recommandation partagée, à savoir la mise à contribution des plus riches afin de financer les investissements nécessaires à la transition écologique.
Le redéploiement des économies liées à la suppression des « niches brunes » ne suffira effectivement pas à atteindre les 34 milliards d'euros d'investissements supplémentaires qui seront nécessaires à partir de 2030, surtout en se contentant des mesures qui sont proposées pour le PLF 2024. J'espère que cette prise de conscience partagée par les rapporteurs nous permettra d'aboutir à des propositions, si ce n'est communes, du moins majoritaires.
D'autres propositions formulées sont également intéressantes, notamment la proposition de relever les quotes-parts pour frais et charges applicables aux remontées de dividendes des holdings patrimoniales ou encore la proposition d'évolution du régime fiscal de l'épargne retraite afin d'éviter que ses avantages soient concentrés sur les contribuables à hauts revenus.
En revanche, il me semble que les rapporteurs sont un peu trop timides à l'égard de certains aspects actuels de la fiscalité du patrimoine qui peuvent être critiqués ou contestés. Restreindre l'ISF à un impôt sur la fortune immobilière a permis au patrimoine financier des particuliers d'échapper à cette taxation. La suggestion d'augmenter de quelques points la flat tax me semble encore trop modeste par rapport à ce système qui a beaucoup trop avantagé non seulement les revenus des capitaux, mais en réalité les revenus les plus importants tirés du capital alors que j'estime que les revenus du capital devraient être traités comme les revenus du travail.
Au-delà des propositions partagées par les deux rapporteurs de ce rapport, je relève que certaines idées sont mises en avant par le seul Nicolas Sansu. Il suggère notamment l'application de la transparence fiscale à l'ensemble des sociétés patrimoniales détentrices de participations, ce qui permettrait ainsi de taxer le revenu économique des personnes les plus fortunées qui échappent aujourd'hui largement à l'impôt, comme le confirme une récente note diffusée par l'Institut des politiques publiques (IPP). En effet, les cent cinquante plus grandes fortunes de France sont assujetties à un taux d'imposition d'environ 25 % (impôts personnels et professionnels confondus) alors qu'il est supérieur à 45 % pour les contribuables à hauts revenus. La limitation du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière permettrait d'éviter que les plus grandes fortunes bénéficient d'un mécanisme excessivement avantageux.
À l'inverse, certaines recommandations communes me laissent perplexe, notamment la recommandation relative à l'adaptation des bornes d'âges applicables à l'exonération de droits de mutation pour les dons de sommes d'argent dans le cadre familial. Il s'agit là d'une possibilité de transmettre totalement dérogatoire, très avantageuse pour les personnes détenant de gros patrimoines qui peuvent se permettre de donner des grosses sommes d'argent à leurs enfants et petits-enfants. Je conteste le fait que les limites d'âge actuel de quatre-vingts ans pour le donateur et dix-huit ans pour le donataire soient excessives. En outre, j'attire votre attention sur le fait qu'en faisant sauter la borne des quatre-vingts ans, vous faciliterez encore plus le fait de pouvoir y avoir recours plusieurs fois au cours de la vie puisque cet avantage est reconstitué tous les quinze ans. Plus fondamentalement, je m'interroge quant à ce dispositif fiscal dérogatoire. Quel est son coût annuel ? Combien de personnes en bénéficient ? Dispose-t-on d'une évaluation sérieuse de l'intérêt qu'il représente ? Ne serait-il pas souhaitable de réfléchir à la suppression ou à un encadrement beaucoup plus strict d'un tel avantage fiscal ?
Malgré ces observations critiques, je vous félicite pour votre rapport.