Ce dernier point excède le champ du sport. La question de la présomption d'innocence et de la valeur de la condamnation est épineuse, et fondamentale.
La présomption d'innocence interdit d'affirmer que quelqu'un est coupable d'une infraction pénale tant qu'il n'a pas été condamné définitivement pour cela – ce qui n'empêche pas, en attendant, de discuter des faits. Dans le monde politique, on a assisté à une évolution des pratiques sur ce sujet. Selon la jurisprudence Balladur, un ministre mis en examen devait démissionner. Il s'agissait d'éviter que le soupçon visant l'intéressé ne s'étende à l'institution, et de faire en sorte que chaque membre du gouvernement se consacre pleinement à sa tâche. Les choses ont beaucoup changé, y compris dans l'esprit du président Macron. En mars 2017, alors candidat, ce dernier affirmait que, bien évidemment, un ministre mis en examen devrait démissionner. Pourtant, deux ministres en fonction vont être jugés d'ici à la fin de l'année : Olivier Dussopt pour favoritisme, et Éric Dupond-Moretti pour prise illégale d'intérêts. Un secrétaire d'État était précédemment resté au gouvernement jusqu'à sa condamnation.
Chacun peut avoir son avis en la matière mais, en tout état de cause, il y a eu une évolution. À la lumière de ce qui se passe dans le rugby, on découvre que, pour le Président de la République, le critère est désormais la condamnation en appel – bien que celle-ci ne soit pas non plus définitive, puisqu'on peut toujours se pourvoir en cassation. Alors, faut-il attendre l'arrêt de la Cour de cassation, voire la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dix, quinze ou vingt ans après les faits, pour réagir ? La situation judiciaire empêche-t-elle politiquement de le faire ?
À la suite de nos révélations sur le chantage à la sextape que Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne, est accusé d'avoir monté contre son premier adjoint, et avant même sa mise en examen, Les Républicains – je précise que d'autres partis politiques agissent de même – ont décidé de l'exclure de leurs rangs. C'est une décision politique qui n'est pas systématiquement prise dans d'autres cas, même à l'égard de personnes condamnées définitivement.
Il ne me paraît donc pas justifié de conditionner la réaction politique, administrative, citoyenne à la décision judiciaire. La justice, dans une affaire pénale, se prononce uniquement sur le caractère pénalement répréhensible d'un acte.
Pour en revenir à votre première question, l'absence d'évolution est selon moi la marque d'une faillite générale, de la lâcheté politique, de la passion sportive et de liens d'intérêts. Comment est-il possible que ce que nous avons raconté n'ait pas fait débat ? Je pense que c'est comme un muscle, ça se travaille. S'agissant de la lâcheté politique, je pense que certains responsables considèrent qu'ils n'ont pas grand-chose à gagner à aller sur ce terrain et à se mettre à dos des millions de passionnés. Cela étant, mettre des mots sur l'affaire des quotas ne signifie pas ne pas aimer le football ! Et j'inclus les médias dans cette faillite générale.