C'est peut-être en matière de réception des informations que le sport présente une spécificité. L'affaire des quotas a déclenché un « pas touche à Laurent Blanc », parce qu'on allait mettre en danger l'équipe de France, qui était en période de qualification pour je ne sais plus quelle compétition. C'était très important, c'était au-dessus de tout : il ne fallait pas déstabiliser l'équipe de France. C'est souvent à cela qu'on se heurte, comme si le sport était tellement important qu'il ne fallait jamais y toucher.
Je pense que toute une partie de la France ne s'est pas remise de l'affaire OM-Valenciennes et considère que la révélation de cette histoire de corruption a été une énorme bêtise, qu'on a cassé un très grand club français, qu'on a cassé du rêve. C'est à cela qu'on se heurte à chaque fois : à une forme de croyance dans l'intérêt supérieur de la patrie – c'est très puissant, même si cela peut prêter à sourire. Journalistiquement, c'est très clair : nous n'avons pas de succès avec ces articles, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer. Ils ne plaisent à personne : ceux qui aiment le sport ne sont pas contents parce qu'on casse leur rêve, et ceux qui n'aiment pas le sport n'en ont rien à faire. C'est comme les amateurs de cyclisme qui ne veulent pas qu'on leur parle de dopage. Ces articles ne trouvent pas de public. Peut-être que les fédérations et les politiques le ressentent et se disent que, si ça ne choque personne, mieux vaut ne pas insister. Eux non plus n'ont pas envie d'en subir les conséquences.
Nous avons la chance de travailler dans un journal indépendant et de ne pas traiter spécialement du sport. C'est parfois difficile pour un journal comme L'Équipe, qui a pourtant fait des articles remarquables sur les discriminations ou les violences sexuelles : en effet, ceux sur qui ils enquêtent sont aussi leurs sources. Lorsque L'Équipe a consacré sa une aux problèmes financiers du Paris Saint-Germain, expliquant que le club ne pourrait pas conserver dans son effectif à la fois Neymar et Mbappé, le PSG s'est fâché et a interdit pendant des mois à ses journalistes d'assister aux entraînements et aux conférences de presse du club. Il a aussi interdit à ses joueurs d'accorder des interviews à L'Équipe. Imaginez ce que cela signifie pour ce journal de ne plus pouvoir transmettre quotidiennement à ses lecteurs des informations essentielles, de ne plus pouvoir recueillir les propos des joueurs, qui nourrissent ses colonnes à longueur d'années ! Cela n'encourage pas les journalistes sportifs à révéler des scandales : ils savent qu'ils vont se mettre à dos des sources, et des gens qui, de toute façon, vont rester en place. Si le journal L'Équipe s'était fâché avec Laurent Blanc, ç'aurait été une catastrophe : il aurait accordé ses interviews à d'autres et les ventes auraient chuté. Tout ça pour que tout le monde reste en place.