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Intervention de Fabrice Arfi

Réunion du mercredi 13 septembre 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart :

Je vais vous faire une réponse générale qui vaudra pour le cas particulier que vous évoquez, car votre question peut s'appliquer à tous les domaines sur lesquels nous sommes susceptibles d'écrire.

Dans une démocratie, un journal a un rôle social particulier : il n'est pas l'auxiliaire d'une administration, d'un État ou d'un groupe privé. Selon la Constitution française, la magnifique loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse et les grands textes internationaux, notre métier consiste à rendre les informations vérifiées d'intérêt public à celles et ceux à qui elles appartiennent, c'est-à-dire aux citoyens. C'est un métier étrange que le nôtre : sur un sujet donné, nous ne sommes au courant de rien, nous apprenons des choses, nous les vérifions et nous les transmettons.

Ce n'est pas parce que quelqu'un nous alerte sur un sujet que nous allons publier un article, faire une enquête, transmettre quoi que ce soit. Notre travail consiste à examiner la nature de l'information qui nous est délivrée, si tant est que ce soit une information – c'en est une quand nous l'avons vérifiée – et à voir si elle est d'intérêt général et si elle ne tangente pas certains secrets parfaitement légitimes en démocratie, comme le secret de la vie privée ou le secret médical, entre autres.

C'est dans cette géographie bizarre que se situe le journaliste, qui a pour rôle d'obtenir des informations auprès de gens qui ne sont pas censés les lui donner, voire qui violent un règlement ou la loi pour le faire. Ce que je vous dis a été consolidé par la jurisprudence en droit interne français et devant la Cour européenne des droits de l'homme. Le secret des sources est essentiel, parce que c'est à nous d'assumer la responsabilité de ce que nous publions, y compris devant les tribunaux. D'une certaine façon, les juges sont les premiers déontologues de la bonne pratique du journalisme et nous ne sommes pas de ceux qui plaident pour une irresponsabilité du journalisme vis-à-vis du juge, comme c'est le cas aux États-Unis par exemple avec le premier amendement. Nous avons évidemment à répondre de ce que nous faisons devant les tribunaux. À Mediapart, nous le faisons régulièrement – et nous gagnons nos procès.

Notre façon d'alerter, c'est de publier des informations, pas de nous transformer en auxiliaires d'une plateforme d'alerte – dont je ne remets en cause ni la légitimité, ni l'utilité. Si des gens choisissent de nous parler, à nous plutôt qu'à ladite plateforme ou à la justice, cette décision leur appartient. Nous passons beaucoup de temps dans notre service, avec Michaël et les dix personnes qui le composent, à essayer de comprendre l'intérêt des gens qui nous parlent. Certains sont habités par une idée du bien commun, d'autres bien sûr sont mus par une forme d'intérêt. Cela vous surprendra peut-être, mais nous ne nous bouchons pas le nez par principe car ce qui nous importe, c'est d'avoir des informations vraies et d'intérêt général.

Si les informations qu'on nous apporte sont vérifiables et d'intérêt général, nous devons les publier ; une fois qu'elles sont sur la place publique, elles appartiennent à tout le monde. Nous, nous levons un lièvre, et c'est à la société civile – dans laquelle j'inclus la société politique – de s'en emparer. Sur des faits de discrimination, d'atteinte à la probité, de fraude fiscale, il peut nous arriver de publier des informations tirées de documents que la justice ne connaît pas. Il est fréquemment arrivé que Mediapart soit destinataire d'une réquisition judiciaire, émise par le service enquêteur ou par les magistrats, nous demandant si nous serions disposés à fournir un document utile pour une enquête. Pour l'anecdote, il nous est aussi arrivé une fois d'être visés par une perquisition, dans le cadre de l'affaire Benalla : les choses ne se sont pas très bien passées et se sont même terminées par la condamnation de l'État pour atteinte à la liberté d'informer.

Pour ce qui est des réquisitions judiciaires donc, et contrairement à d'autres journaux – chacun pour de bonnes raisons – nous acceptons de transmettre des documents. C'est une philosophie que nous avons élaborée au sein de Mediapart depuis le départ, il y a quinze ans. Nous considérons que nous n'avons aucune raison objective d'empêcher la marche d'une administration ou de la justice, si tant est que deux conditions cumulatives sont remplies. La première, c'est que les informations issues des documents recherchés soient déjà connues de nos lecteurs et lectrices. Sinon, nous nous transformerions en auxiliaires de justice : socialement et déontologiquement, nous ne le pouvons pas. La deuxième condition, c'est que la transmission ne puisse en aucune manière, ni directement, ni indirectement, porter atteinte au secret des sources. Ainsi, il arrive que très peu de gens aient eu entre les mains les documents que nous révélons, ou que ces documents soient piégés, par exemple en ne mettant pas la même ponctuation dans tous les exemplaires distribués lors d'un conseil d'administration, ou en introduisant des traces numériques. Or notre trésor à nous, ce sont nos sources. Si nous perdons nos sources, nous perdons tout – car nous ne faisons pas du journalisme de commentaire, mais nous produisons l'information.

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