Le texte que je vous propose d'adopter, sous l'impulsion du groupe Démocrate, concerne un patrimoine essentiel pour notre pays : les forêts. Dans un monde en proie à une crise climatique, à une crise énergétique et à une crise du vivant, nous avons le devoir de redéfinir la vocation des forêts : elles constituent une ressource essentielle pour répondre aux effets des crises que nous traversons. La forêt est un complexe végétal capable, à lui seul, de tempérer les excès de chaleur et de sécheresse ; en effet, elle libère quotidiennement d'impressionnantes quantités de vapeur d'eau rafraîchissante, par évapotranspiration. La forêt, c'est aussi le bois, qui représente à la perfection le recours à une énergie renouvelable. La forêt, c'est enfin un magnifique écosystème où l'inventivité et la créativité du vivant rendent possible une cohabitation insoupçonnée d'espèces végétales et animales, formant une chaîne du vivant parmi les plus impressionnantes. De fait, les forêts constituent de véritables sanctuaires de biodiversité, qui se perpétuent sans engendrer de dépenses ni grever nos budgets.
Conséquences directes du changement climatique, les incendies qui se produisent régulièrement depuis plusieurs années, et qui ont durement frappé nos massifs boisés cet été, nous rappellent dramatiquement à une obligation morale : nous devons revoir en profondeur notre conception de ce monde qu'est la forêt.
Depuis longtemps, les forêts françaises font l'objet d'une approche sylvicole ; ce sont des forêts de production. Notre démarche et notre vision n'excluent en rien cette vocation. Cependant, nous devons la rendre compatible avec une approche authentiquement écologique. Cela implique de choisir le type de production, le rythme de production et la technique les plus aptes à respecter la dynamique naturelle qui fait de la forêt ce qu'elle doit être : un écosystème à part entière, qui n'en est pas moins productif.
Dans son acception scientifique la plus rigoureuse, l'écosystème désigne la cohabitation de mondes vivants denses, végétaux et animaux, qui perdurent grâce aux équilibres qui s'installent entre les besoins du vivant, les conditions physico-chimiques du milieu et les ressources que celui-ci procure. Si nous savons intégrer ces dimensions à notre réflexion, nous réussirons le pari de conjuguer l'écologie et l'économie forestière, pour apporter une réponse pertinente au défi climatique.
Chacun des arbres de nos forêts incarne une valeur essentielle, celle du temps long. Si nous apprenions à intégrer le temps long à nos raisonnements économiques et financiers, nous mesurerions la valeur immense que représentent les arbres, et donc la forêt : elle surpasse de loin la valeur des bâtis les plus prestigieux. Reconnaissons donc une dimension patrimoniale à l'arbre qui a besoin du temps long, et à l'écosystème dans lequel il s'épanouit au très long cours. Nous repenserons alors notre économie globale, et pourrons engager, peut-être, une transition « écolonomique ».
La proposition de loi qui vous est soumise traite un sujet certes précis, mais qui doit être abordé sous tous ses aspects – nous contreviendrions, sinon, à l'ambition économique et écologique que méritent les forêts. Le texte vise à limiter le développement des clôtures autour des forêts privées, lesquelles représentent 75 % de la surface forestière française, soit près de 13 millions d'hectares sur le territoire métropolitain. Cet engrillagement n'est pas sans conséquences. Il a un impact négatif sur le développement économique et touristique des territoires concernés. Il menace en outre la santé des arbres et des sols, de même qu'il réduit l'espace de circulation du grand gibier. Il constitue enfin une atteinte à la biodiversité : les entraves à la circulation du vivant nuisent au brassage génétique des espèces, ce qui provoque une fragilisation et un appauvrissement des peuplements.
La Sologne, qui compte pas moins de 3 000 kilomètres de grillage, est fréquemment citée pour illustrer ce phénomène. Sans cadre juridique clair, un tel engrillagement outrepasse les dimensions réglementaires. Il ne vise plus à délimiter la propriété privée – sa vocation première –, mais à capter et à retenir le gibier. Outre qu'il enlaidit les paysages naturels boisés, il provoque de grandes difficultés de circulation. Or l'accès à l'ensemble des parcelles forestières est indispensable, notamment pour l'Office français de la biodiversité (OFB), qui remplit des missions essentielles. La situation deviendrait hautement préoccupante en cas de catastrophes naturelles ou des sinistres, comme les incendies qui ont sévi cet été : nos soldats du feu seraient empêchés d'agir avec l'efficacité qui s'impose.
Je m'attarderai sur les risques provoqués par l'entrave à la libre circulation des animaux sauvages. Non seulement les bêtes peuvent se blesser sur des matériaux coupants, mais encore leur enfermement dans des espaces circonscrits provoque un piétinement des sols forestiers, qui altère la flore muscinale et fongique et nuit à leur caractère spongieux, propice à la rétention naturelle d'humidité. À cela s'ajoute une surconsommation des jeunes pousses, qui empêche la régénération naturelle arborée. Enfin, la concentration excessive de gibier crée un terrain propice à la prolifération de maladies et à la multiplication des risques sanitaires.
Bien entendu, la proposition de loi prend en considération les besoins des exploitations agricoles et sylvicoles. Elle prévoit des exceptions qui permettront aux agriculteurs de protéger leurs productions et leurs revenus, et aux forestiers de préserver et d'isoler les secteurs de régénération des peuplements boisés. Le texte prévoit par ailleurs des amendes en cas de violation de la propriété privée. Si leur montant peut paraître élevé, elles revêtent avant tout un caractère dissuasif : il s'agit d'assurer la sécurité des usagers qui pourraient se trouver dans une zone de chasse. Si, grâce à cette disposition, une seule vie peut être sauvée, cette mesure sera plus que justifiée.
Je tiens à saluer l'ensemble de mes collègues, ainsi que les députés des groupes d'opposition, qui, lors de l'examen du texte en commission, loin de l'effervescence de l'hémicycle, au deuxième sous-sol du bâtiment, se sont entendus sur la plupart des amendements et ont abouti à un vote unanime. Cher président Zulesi, la préservation des forêts permet, mieux encore que le football, de rapprocher celles et ceux qui ne cheminent pas ensemble habituellement !