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Intervention de Jérémie Iordanoff

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2023 à 15h00
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Iordanoff :

Notre justice est en mauvais état. Cela doit être un sujet de préoccupation pour tous ceux qui croient en la nécessité de préserver et de renforcer l'État de droit. La matière qui nous occupe est fondamentale, aussi notre exigence est-elle forte. Des moyens financiers sont mis sur la table – c'est indéniable –, mais il y a aussi des oublis et des dérives.

Nous déplorons que le débat institutionnel sur l'autorité judiciaire n'ait pas été ouvert. L'indépendance de la justice aurait pu et aurait dû être un axe central. C'était une demande forte des états généraux de la justice comme du Conseil supérieur de la magistrature. La mainmise progressive du parquet sur les enquêtes et les poursuites a déséquilibré la procédure pénale et pose la question du statut du parquet. Le ministère public devrait être à l'abri de tout soupçon, or nous assistons plutôt au mouvement inverse. Il est, par exemple, malvenu que le garde des sceaux, par définition membre de l'exécutif, ait connaissance des plaintes des justiciables, alors que le Conseil supérieur de la magistrature a décidé de ne pas y donner suite, sans parler de l'encadrement de la liberté d'expression des magistrats, qui fait son retour dans la loi organique au détour d'une CMP pour le moins expéditive.

Nous regrettons ensuite le traitement réservé à la question de la surpopulation carcérale. Un mécanisme de régulation vous a été proposé par Caroline Abadie et Elsa Faucillon, mais il a été écarté par manque de courage politique. Vous auriez également pu redonner toute sa place au juge de l'application des peines, comme nous l'avions suggéré. Les chiffres récents attestent d'une baisse du nombre de travaux d'intérêt général prononcés, or cet échec s'explique en grande partie par la réforme du « bloc peines » de 2019 dont les effets n'ont pas été anticipés.

Nous sommes également opposés aux mesures qui privent les parties d'un accès à une justice équitable et impartiale. La commission mixte paritaire a réintroduit l'article 17, qui avait pourtant été supprimé en séance, qui prévoit de décharger le juge de sa compétence en matière de saisie des rémunérations pour la transférer aux commissaires de justice. C'est une mesure purement gestionnaire qui risque d'aggraver les situations de surendettement.

De la même manière, nous ne pouvons accepter l'expérimentation d'une contribution pour la justice économique, qui remet en cause des principes de gratuité et d'accessibilité à tous de la justice. À ce sujet, je m'associe à la remarque qu'a faite Naïma Moutchou concernant les associations.

Nous n'acceptons pas plus le transfert d'une partie du contentieux des mesures de sûreté du juge des libertés et de la détention (JLD) vers un juge non spécialisé. Le placement des étrangers en zone d'attente ou en centre de rétention administrative et l'hospitalisation sous contrainte sont des mesures administratives qui privent les personnes de leur liberté d'aller et venir. Transférer ces matières à un juge non spécialisé, qui ne bénéficie pas des mêmes garanties d'indépendance que le JLD, est un retour en arrière. Plutôt que de réduire le champ d'intervention du JLD, il aurait fallu renforcer ses moyens d'action en créant un cabinet autour de lui, mais vous avez préféré négocier avec la droite.

En ce qui concerne l'extension des pouvoirs d'enquête, l'activation à distance de tout appareil électronique à des fins de captation d'images et de sons nous paraît inacceptable, en raison de la difficulté à encadrer la technique. En effet, nous ne disposons d'aucune garantie sur les volumes concernés et vous n'avez même pas accepté un rapport d'information sur ce sujet.

De la même manière, rien de nous paraît justifier une généralisation des perquisitions nocturnes en dehors des cas complexes. L'extension que vous avez décidée est, selon nous, beaucoup trop grande. C'est une atteinte à l'inviolabilité du domicile qui ne s'accompagne d'aucune garantie effective, contrairement à ce qui a été dit. Encore une fois, on ne peut pas étendre démesurément le domaine de l'enquête de police, sous la direction du procureur, sans renforcer dans le même temps les moyens du juge des libertés et de la détention.

En somme, les moyens supplémentaires accordés à la justice sont nécessaires et bienvenus, mais ils ne doivent pas servir de paravent à un trop grand nombre de dispositions dictées principalement par un souci de raccourcir les délais, sans considération de la qualité de la justice et sans recherche d'un équilibre entre efficacité et garantie des droits et libertés. De plus, pour que le texte soit voté en séance, le Gouvernement avait dû faire un accord avec la droite sur le nombre de places de prison – encore aujourd'hui, nous constatons une incertitude sur le chiffre de 15 000 ou de 18 000 – et la situation s'est nettement aggravée en commission mixte paritaire pour donner satisfaction à la droite sénatoriale.

En conséquence, le groupe Écologiste – NUPES votera contre les deux textes.

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