Volontairement bref et opérationnel, le projet de loi dont nous allons débattre comporte une mesure unique : l'avancement de la date butoir des négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs en 2024. L'objectif que se fixent le Gouvernement et la majorité est simple : faire gagner six semaines de pouvoir d'achat aux Français en répercutant dans les prix de vente aux consommateurs la baisse des coûts des matières premières et de l'énergie.
La lutte contre l'inflation est l'un des combats principaux que nous menons avec le Gouvernement. Des mesures très concrètes ont été adoptées, comme le bouclier tarifaire, l'aide exceptionnelle de rentrée, la revalorisation des bourses étudiantes, des aides APL (aide personnalisée au logement), des minima sociaux et des retraites, ou encore l'indemnité carburant destinée aux travailleurs. D'autres dispositifs concernent plus précisément les produits de grande consommation comme le trimestre anti-inflation et les renégociations commerciales visant à faire baisser les prix de 5 000 produits du quotidien.
Tous les leviers doivent être actionnés pour faire baisser les prix au plus vite ; ce projet de loi est l'un d'entre eux. Nous partons du constat que les prix amont sont en baisse. C'est le cas des matières premières agricoles – céréales, vins, fruits et légumes, oléagineux, café, volaille et œufs. Il en va de même pour de nombreuses matières premières non agricoles comme le papier, le caoutchouc ou le bois. On assiste dans le même temps à une normalisation du prix de l'énergie et à une baisse du prix du baril de Brent.
En mars 2022, juste après la clôture des négociations commerciales, le Gouvernement avait demandé à la grande distribution de rouvrir les négociations afin de concéder des hausses à leurs fournisseurs. Elles étaient à l'époque absolument nécessaires et sans cela, il est très probable que notre industrie agroalimentaire aurait été laminée.
Nous assistons aujourd'hui au mouvement inverse, c'est-à-dire à un reflux des coûts des fournisseurs. Nous pouvons donc anticiper, pour certains produits, une baisse des prix qui doit être répercutée au plus vite dans les rayons, pour les consommateurs. C'est pour cette raison que le projet de loi propose d'avancer de six semaines la date butoir des négociations commerciales afin que les Français puissent profiter, au plus tard le 16 janvier, d'une baisse de prix sur un certain nombre de produits du quotidien.
S'il n'y a pas de doute sur la philosophie de ce texte, qui, au fond, n'est qu'un simple accélérateur, l'efficacité et l'équité du dispositif dépendent d'un certain nombre d'ajustements. Les auditions que j'ai menées avec divers acteurs – syndicats agricoles, distributeurs, fournisseurs, administrations nationales et européennes, cabinets ministériels, économistes et journalistes spécialisés – m'ont conduit à m'interroger sur certains points.
Tout d'abord, se pose la question du seuil. Le texte fixe un seuil de 150 millions d'euros de chiffres d'affaires, ce qui concerne environ 300 entreprises, non seulement de très grandes multinationales mais aussi des ETI (entreprises de taille intermédiaire). Certains proposent de fixer le seuil à 350 millions d'euros, ce qui permettrait de limiter le dispositif aux 75 plus grandes entreprises, qui semblaient visées prioritairement par le Gouvernement. Une autre solution consisterait à supprimer tout simplement le seuil, ce qui avancerait les négociations pour tous les fournisseurs, indépendamment de leur taille.
Cela m'amène naturellement à mon deuxième point : celui des conséquences du texte sur les PME (petites et moyennes entreprises) et les TPE (très petites entreprises).
J'ai auditionné le président de la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France) et j'entends l'inquiétude des entreprises qu'il représente. Traditionnellement, l'usage veut que les PME négocient avant les grands groupes, généralement avant le 1er janvier. C'est le fruit d'un patient travail de la FEEF, qui a conclu des accords sur ce point avec la grande distribution. Cela permet aux PME de négocier dans de meilleures conditions et de bénéficier de davantage de contreparties. Elles craignent donc de se retrouver dans des conditions dégradées si elles négocient après le 15 janvier, et de ne pas pouvoir négocier avant, même si elles le voulaient, du fait de l'engorgement que provoquera la négociation des grands groupes sur une période réduite.
D'un autre côté, forcer par la loi l'ensemble des PME à conclure avant le 31 décembre, comme le demandent la FEEF et nombre de vos amendements, me paraît délicat car cela créerait un risque juridique fort pour les entreprises qui ne seraient pas prêtes à agir dans des délais aussi serrés. Actuellement, les PME ne sont pas tenues de négocier avant les grands groupes et ne risquent rien si elles ne le font pas. La solution proposée par le Gouvernement, qui consiste en la signature d'une charte entre PME et distributeurs, me paraît offrir un bon équilibre entre sécurité et contrainte. Je laisserai Mme la ministre développer ce point et nous indiquer si ce projet de charte est opérationnel.
La suppression du seuil de 150 millions permet donc de résoudre le double problème du champ des acteurs – tous les fournisseurs, sans distinction, seraient concernés – et de la date – l'ensemble des PME qui n'auront pas signé au 31 décembre pourront négocier au même niveau que les grands groupes. Ce faisant, et malgré un contexte exceptionnel, nous ferons en sorte que les négociations se déroulent le plus sereinement, équitablement et normalement possible.
Ensuite, sur un plan purement opérationnel, se pose la question de la durée des négociations. J'ai été assez convaincu par les arguments de ceux qui disent qu'il n'est pas possible de passer de quatre-vingt-dix à quarante-cinq jours de négociations sans conséquence sur la qualité de celles-ci. J'aimerais donc que nous puissions porter cette durée à soixante jours en avançant la date d'envoi des conditions générales de vente au 15 novembre.
Je voudrais élargir un peu le débat pour aborder deux sujets qui me paraissent essentiels. La date butoir des négociations, qui existe depuis 2008, constitue la clef de voûte de l'architecture des relations commerciales, une architecture complexe sur laquelle le législateur n'a cessé de travailler depuis la LME. Nous y sommes revenus à plusieurs reprises – lois Egalim 1 et Egalim 2, loi Descrozaille – avec un objectif constant : rééquilibrer les relations commerciales entre les maillons les plus faibles de la chaîne alimentaire, en particulier les agriculteurs, et les maillons les plus forts.
La date butoir du 1er mars offre une protection à certains mais exacerbe les tensions et les crispations. On peut même penser que certains dispositifs tels que les clauses de renégociation et de révision automatique des prix seraient mieux rédigés par les acteurs et plus opérationnels si l'on supprimait cette date butoir.
Par ailleurs, les successions de crises économiques, sanitaires et environnementales ont prouvé que l'encadrement juridique français des négociations était insuffisamment adaptable. Les interventions multiples du Gouvernement et du législateur sur cette question en témoignent. Il me semble donc essentiel de repenser ce cadre afin d'en accroître la résilience et l'adaptabilité, tout en préservant et en renforçant les acquis des lois précitées.
La question des centrales d'achat internationales a également été fréquemment soulevée, dans le cadre des auditions comme de nos débats législatifs. En 2019, elle avait été au cœur des travaux de la commission d'enquête présidée par M. Thierry Benoit. La loi défendue par Frédéric Descrozaille, en mars dernier, a permis des avancées majeures. Le phénomène tend néanmoins à s'amplifier et nécessiterait une action au niveau européen pour l'encadrer davantage. C'est un enjeu majeur pour garantir l'effectivité des textes que nous votons.
En conclusion, nous entamons l'examen d'un texte court visant à répondre à une situation d'urgence, bien qu'il soulève également des débats à plus long terme. Je souhaite donc que notre commission débatte de façon sereine et constructive afin d'apporter une réponse aux hausses des prix dans les rayons.