Je suis convaincue que la raison d'être du politique n'est pas d'intervenir constamment dans les relations commerciales entre acteurs privés ni de légiférer au gré de l'actualité mais, au contraire, de définir le cadre stable dans lequel doivent s'établir durablement les relations économiques. Or l'inflation que nous connaissons depuis deux ans, et contre laquelle le Gouvernement agit depuis ses premières manifestations, vient bousculer nos certitudes en matière de politique économique. C'est une situation d'urgence, qui appelle des réponses d'urgence.
L'État a fixé, depuis la LME (loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie), puis avec Egalim 1 (loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), Egalim 2 (loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs) et la récente loi dite Descrozaille (loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs), l'un des cadres de négociation commerciale les plus réglementés au monde. Il y a de bonnes raisons à cela, au premier rang desquelles la protection de nos producteurs agricoles dans la chaine de valeur agroalimentaire, qu'il ne saurait être question d'amoindrir. Il n'est pas non plus inutile de rappeler que si, en 2022, la France a connu l'inflation la plus faible de la zone euro, elle le doit beaucoup à la force de la réponse du Gouvernement, structurée autour des boucliers tarifaires, mais aussi à la négociation annuelle des tarifs entre industriels et distributeurs, qui a lissé la répercussion de la hausse des coûts des industriels dans les prix de vente aux consommateurs.
Toutefois, c'est cette même annualité qui, aujourd'hui, empêche l'inflation alimentaire de redescendre rapidement et ainsi de desserrer l'étau sur les achats du quotidien des Français. Le pragmatisme doit commander car chaque jour compte : c'est pourquoi je vous présente, au nom du Gouvernement, un projet de loi dont l'objet est l'adaptation temporaire de la négociation commerciale annuelle. Dans l'arsenal que nous déployons pour lutter contre la vie chère, cette nouvelle arme doit accélérer la baisse des prix des produits de grande consommation en rayon.
Vous avez bien entendu : il s'agit d'accélérer des baisses qui, depuis quelques semaines déjà, ont commencé de se faire sentir sur des produits comme les surgelés ou les changes pour bébé. Depuis quelques mois, l'inflation ralentit, notamment l'inflation alimentaire qui vient de passer sous la barre des 10 % alors qu'elle était de 15,9 % en mars dernier. Est-ce encourageant ? Sûrement. Est-ce satisfaisant ? Pas encore, car les Français constatent que leur ticket de caisse est encore trop élevé. C'est pourquoi nous vous proposons de nous doter des moyens légaux permettant de répercuter les baisses de prix le plus rapidement possible.
Ce texte de bon sens repose sur des constats chiffrés. Nous vous proposons d'avancer de six semaines les négociations commerciales entre distributeurs et industriels, qui se termineront ainsi au 15 janvier 2024 et non au 1er mars 2024 pour les plus grands fournisseurs de la grande distribution, ceux qui produisent la majorité des produits de consommation du quotidien des Français. Six semaines, quand on fait face à de l'inflation alimentaire, cela compte.
Comment être sûr que les prix diminueront ? Le raisonnement est simple : si les coûts des intrants agricoles baissent en un an, il est naturel que le tarif des produits fabriqués à partir de ces intrants en tienne compte. Or les cours d'importantes matières premières agricoles ont chuté : moins 40 % pour le blé tendre depuis l'automne 2022 ; moins 17 % pour les oléagineux par rapport à août 2021. L'Insee a également indiqué qu'en août 2023, les prix agricoles à la production ont continué de reculer, s'établissant à moins 7,4 % en rythme annuel. D'autres matières premières industrielles enregistrent également des baisses, comme le papier et le carton pour les emballages ou encore les prix de l'énergie, qui diminuent après avoir connu un emballement irrationnel l'an passé. Je pourrais multiplier les exemples, même si quelques matières premières subissent encore des hausses de prix.
Tel est le texte tout simple que le Gouvernement vous propose. Je n'ignore pas, bien sûr, que des questions se posent. L'objectif de souveraineté alimentaire et industrielle, qui passe par la préservation des conditions de négociation des PME agroalimentaires, est une priorité – c'est une demande forte de leur part, qui est partagée par tous, y compris les distributeurs – et le Gouvernement souhaite travailler avec vous en ce sens.
Depuis deux ans, le contexte n'a jamais été aussi favorable à des baisses de prix de produits alimentaires en rayon. Nous devons permettre aux industriels et aux distributeurs de se mettre sans plus attendre à la table des négociations. Certains industriels ont déjà envoyé leurs conditions générales de vente (CGV) aux distributeurs. Je les appelle solennellement à amplifier ce mouvement.
Un dernier mot : ce qui compte, ce n'est pas la ligne de départ mais la ligne d'arrivée. Comme chaque année, les industriels proposeront des tarifs à la hausse, les distributeurs s'en plaindront et ces nouveaux tarifs seront âprement négociés. L'essentiel est qu'à l'issue des négociations, les prix baissent.
Mesdames et messieurs les députés, nous visons le même résultat : redonner le plus vite possible du pouvoir d'achat aux Français. Il n'y a pas lieu de se retrancher derrière des postulats économiques ou des théories : il s'agit simplement de savoir si vous acceptez d'avancer de six semaines les renégociations commerciales.