J'ai l'honneur de me présenter devant vous, parce que la présidente de l'Assemblée nationale a proposé de me nommer pour six ans, non renouvelables, au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
J'entame la seconde moitié de ma carrière académique. Je suis professeur de droit public depuis septembre 2002 et j'enseigne depuis cinq ans à l'École de droit de Sciences Po. Je suis donc fonctionnaire de l'État en activité. Depuis ma thèse de doctorat, je suis spécialisé en droit administratif et j'ai mené d'assez nombreux travaux en droit de la fonction publique, en publiant notamment un manuel dont la sixième édition est en préparation. Dans ce cadre, je me suis évidemment intéressé aux questions déontologiques, aux attributions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et aux incidences de ces dernières sur la situation des fonctionnaires et autres agents publics. Vous avez toutefois raison, monsieur le rapporteur, je me suis davantage focalisé sur ce volet que sur le contrôle de la situation des élus et des membres du Gouvernement.
À ces travaux académiques s'ajoute, depuis un peu plus de cinq ans, une expérience plus concrète et pratique de la déontologie. J'ai en effet intégré, en 2018, le collège de déontologie du ministère de la culture. J'en assure la vice-présidence et mon mandat – c'est le deuxième – prendra fin en avril 2024. Cet organe collégial est présidé par M. Alain Ménéménis, conseiller d'État honoraire, et l'autre vice-présidence est assurée par Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre au Conseil d'État.
Le champ de compétences de ce collège de déontologie est différent de celui de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Cependant, de nombreuses questions traitées sont de même nature, comme le contrôle des projets de reconversion ou de cumul d'activités ou l'appréciation portée sur les questions souvent délicates de conflits d'intérêts. Pour illustrer cette proximité, j'évoquerai quelques-uns des cas que nous avons examinés entre septembre 2022 et mai 2023 – notre dernier rapport annuel a été publié au printemps.
Un agent public peut-il exercer une activité accessoire consistant à intervenir contre rémunération lors de séminaires ou de colloques ? Un administrateur de l'État peut-il devenir cadre dans une entreprise avec laquelle le ministère a conclu des marchés publics ? Quelle conduite un établissement public doit-il adopter à l'égard de son ancien dirigeant qui, une fois parti dans le secteur privé, souhaite continuer à entretenir des relations contractuelles avec son ancienne administration ? Un agent peut-il publier un livre en utilisant une documentation produite dans le cadre de ses fonctions administratives sans saisir au préalable l'administration de son projet ? Ces quelques questions peuvent faire écho à des problématiques traitées par la HATVP.
Ces deux éléments de mon parcours expliquent peut-être que la présidente de l'Assemblée nationale, que je remercie pour sa confiance, ait envisagé ma nomination à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, parmi les deux personnalités qualifiées qu'il lui revient de nommer.
J'en viens à la manière dont j'appréhende les fonctions qui pourraient m'être confiées. La liste des attributions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'est, comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, élargie depuis sa création par le législateur en 2013, ce qui traduit la confiance que vos prédécesseurs et vous-mêmes avez en cette institution. L'évolution est telle qu'une auteure a récemment soutenu qu'il s'agissait d'une institution d'un genre entièrement nouveau, marquant « la naissance d'une nouvelle branche de la séparation des pouvoirs », dédiée à l'exigence de probité. Elle développe ainsi l'idée qu'il existerait un quatrième pouvoir. Je ne partage absolument pas cette appréciation. À l'instar de la plupart des observateurs, je considère que si la HATVP a un objet et des missions spécifiques, elle demeure l'une des nombreuses autorités administratives indépendantes créées ces dernières décennies par le législateur. Elle n'est rien de plus, et rien de moins.
Mon mandat au sein de ce collège serait soumis à des règles de déontologie strictes, issues de la loi de 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes, mais aussi de textes portant spécifiquement sur cette institution, qu'il s'agisse de dispositions législatives ou de son règlement intérieur, qui excède les exigences législatives. Dans un souci d'exemplarité, certaines pratiques de la HATVP vont même au-delà des obligations fixées par les textes. Je citerai un seul exemple. Si vous confirmez ma nomination, ma déclaration de patrimoine – comme celle de l'ensemble des membres du collège – sera publiée sur le site de la Haute Autorité. Il s'agit d'un choix de l'institution. Le seul équivalent concerne les membres du Gouvernement. Je serai soumis à une obligation de réserve renforcée, prévue par le règlement intérieur, à une obligation de discrétion, de respect du secret professionnel, de probité et d'impartialité. Tous les textes se combinent pour dessiner un cadre déontologique exigeant, ce qui est parfaitement logique eu égard à l'importance des informations qui circulent au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Les compétences de la HATVP se sont progressivement diversifiées. Initialement conçue pour garantir la probité des gouvernants et plus largement des décideurs publics, elle s'est ensuite vu confier d'autres missions importantes, comme le contrôle des représentants d'intérêts, et a repris des tâches qui incombaient précédemment à la commission de déontologie de la fonction publique. Toutes ses missions ne sont pas de même nature, mais elles reposent sur les mêmes piliers, à savoir : prévention et lutte contre les conflits d'intérêts ; valorisation de la probité et de la transparence. Elles visent en outre un seul et même objectif : qu'un « tiers de confiance » exerce un contrôle et édicte des avis, afin d'éviter une détérioration du lien de confiance qui doit, si l'on ne veut pas risquer une crise démocratique, unir les gouvernants et les administrateurs d'une part, et les gouvernés d'autre part.
De mon point de vue, le bilan de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est tout à fait satisfaisant. Cependant, il est toujours possible d'améliorer le fonctionnement d'une institution, qu'elle soit publique ou privée.
Le fonctionnement quotidien de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourrait ainsi être simplifié et elle a elle-même suggéré quelques évolutions. Elle souhaiterait notamment avoir la possibilité de consulter directement les établissements bancaires et financiers, sans passer par l'intermédiaire des services fiscaux. Cette réforme nécessiterait une révision législative, mais elle ne modifierait nullement l'étendue des informations communiquées à cette institution. Elle permettrait, en revanche, d'accélérer la procédure. De même, la HATVP souhaiterait être dotée d'un pouvoir de sanction administrative en cas d'absence de dépôt des déclarations d'intérêts ou de patrimoine. En l'état de la législation, les dossiers sont transmis au parquet, qui n'a pas le temps de les examiner. Constituer un collège des sanctions, distinct du collège que je prétends intégrer, apporterait de la fluidité.
Au-delà de ces réformes ponctuelles, faut-il modifier des éléments plus substantiels ? Je n'en suis pas certain.
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique exerce-t-elle ses attributions dans les meilleures conditions ? On lit parfois qu'elle entraverait exagérément les projets de pantouflage ou de reconversion. La lecture de ses avis me paraît toutefois démentir cette appréciation alarmiste. Les avis d'incompatibilité sont peu fréquents et, si les avis de compatibilité avec réserves sont nombreux, ils visent avant tout à sensibiliser leurs destinataires sur l'existence d'un risque pénal. Loin d'être un obstacle, la HATVP joue un rôle protecteur des intérêts des personnes qui sont soumis à son contrôle.
S'agissant d'une possible extension des pouvoirs de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, notamment en matière de recours à des cabinets de conseil ou de lutte contre la corruption, je considère que ses missions sont déjà nombreuses et que l'attribution de nouvelles compétences exigerait des moyens humains supplémentaires. Il vous appartiendra toutefois, en votre qualité de législateur, d'apprécier l'opportunité d'une telle réforme et de prendre les décisions qui en découleraient dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances.
Le bilan de dix années d'activité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique fera l'objet d'un colloque dans les murs de l'Assemblée nationale, à la date anniversaire de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Vous y interviendrez, monsieur le président, dans une table ronde intitulée « La transparence : gage de confiance ? ». À elle seule, la transparence ne suffit pas à garantir la confiance. En se focalisant sur tel ou tel cas particulier, elle peut même nourrir la défiance et la suspicion à l'égard des décideurs publics. Je suis néanmoins convaincu que l'exercice de transparence est une nécessité démocratique et qu'elle est d'une grande utilité. Le bilan de l'activité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique confirme le niveau très élevé de probité des décideurs publics dans notre pays. La prévention des conflits d'intérêts est nettement mieux assurée qu'elle ne l'était il y a encore quelques années. Participer à cette mission d'intérêt général serait, si vous m'accordez votre confiance, un grand honneur !