Je suis heureux de vous présenter le projet de loi de finances pour 2024, avec Thomas Cazenave.
Le contexte en est singulier. L'économie française résiste : la croissance se monte à 1 % ; 2 millions d'emplois ont été créés en six ans ; la réindustrialisation s'accélère, avec 100 000 nouveaux emplois industriels ; les investissements dans les entreprises se maintiennent. Ces résultats sont parmi les meilleurs des pays de la zone euro. Dans le même temps, il nous faut affronter la crise inflationniste la plus grave depuis les années 1970. C'est le premier défi que nous devrons relever avec ce PLF. L'inflation entame la confiance des ménages et plonge les plus modestes dans une véritable anxiété. Depuis plusieurs semaines, nous marquons des points, elle reflue, mais ce n'est pas encore perceptible pour nos compatriotes.
Notre deuxième défi consiste à accélérer le désendettement du pays et à réduire son déficit. Assainir les finances publiques constitue un impératif catégorique. J'appelle la majorité à retrouver l'esprit de 2017 et notre ADN politique, la bonne tenue des comptes publics. Les oppositions ne nous aident guère en ce domaine : elles proposent des dépenses à l'envi, par exemple concernant les carburants, mais avancent peu d'idées pour réaliser des économies. Certains critiquent la trajectoire des comptes, tout en refusant de voter la réforme de l'assurance chômage et la réforme des retraites, les mieux à même de dégager des économies et d'accélérer le désendettement. Il est d'autant plus nécessaire de faire preuve de responsabilité budgétaire que les taux d'intérêt ont augmenté de 300 points de base. L'argent gratuit, c'est fini, et pour longtemps. Dans ces conditions, il serait irresponsable de maintenir le rythme des dépenses quand les taux d'intérêt atteignent 4 % et alourdissent la charge de la dette, qui s'élèvera à 74 milliards d'euros en 2027.
Le troisième défi qu'il nous faut relever consiste à dégager des marges de manœuvre. Il faut pouvoir investir dans les domaines régaliens – la guerre est de retour en Europe et chacun voit la nécessité de disposer de forces armées et de sécurité à niveau ; dans la santé et l'éducation – les deux grands services publics sur lesquels s'appuie la nation ; dans la transition écologique, pour faire face au réchauffement climatique.
Pour résoudre l'équation ainsi posée, nous devons piloter nos finances publiques avec beaucoup de fermeté, en faisant preuve de clarté. Ainsi, je m'opposerai à toute augmentation d'impôt qui n'ait déjà été décidée dans le cadre de la bascule vers la fiscalité verte. Notre taux de prélèvements obligatoires est déjà le plus élevé de tous les pays développés.
À court terme, notre objectif est de mettre fin à la flambée des prix. Cela suppose d'abord de rester cohérents avec les décisions de la Banque centrale européenne (BCE) – sinon, mieux vaut sortir de l'Europe. Augmenter les dépenses quand la BCE réduit la voilure reviendrait à accélérer quand le voisin appuie sur le frein : nous irions droit dans le décor.
Nos compatriotes veulent en premier lieu que l'inflation baisse. Il faut maîtriser la dépense et cibler les aides. Accéder aux demandes de ceux qui, la main sur le cœur, font assaut de générosité et veulent injecter toujours plus d'argent public, alimenterait le phénomène dont souffrent nos compatriotes. C'est une règle économique.
Il faut néanmoins répartir équitablement le fardeau de l'inflation. Il serait injuste et inefficace de faire porter tout l'effort sur l'État. Il prend déjà beaucoup à sa charge ; les acteurs privés – industriels et distributeurs notamment – doivent assumer la leur. Certains prétendent que nous ne cessons de demander, sans jamais rien obtenir. C'est faux. Nous avons réuni les industriels et les distributeurs, et obtenu le blocage ou la baisse du prix de 5 000 produits. Ceux qui défendent le blocage universel des prix, notamment alimentaires, devraient en parler aux agriculteurs : ils seront ravis. Tous les pays qui ont fait ce choix ont connu la pénurie. L'économie française, grande économie de marché, n'a pas intérêt à suivre la même voie que l'Union soviétique.
Nous avons obtenu des distributeurs qu'ils consentent des efforts : trimestre anti-inflation ; maintien ou baisse des prix de 5 000 produits ; avancée de la conclusion des négociations commerciales au 15 janvier 2024. TotalEnergies plafonnera le prix des carburants à 1,99 euro par litre dans ses 3 000 stations françaises. Les distributeurs vendront à prix coûtant le carburant à la pompe jusqu'à la fin de l'année. L'État prendra sa part : avec le Président de la République, nous avons décidé de concentrer l'aide vers ceux qui en ont le plus besoin – ceux qui travaillent. Certains doivent se rendre à l'usine, au bureau, à l'hôpital ; ils ne peuvent pas limiter leurs déplacements et ont besoin qu'on les accompagne pour s'y rendre sans se demander s'ils perdent de l'argent en allant travailler. L'indemnité carburant transport s'élèvera à 100 euros par voiture, pour ceux qui bossent, à partir de janvier. Cette mesure nécessaire et juste coûtera 430 millions d'euros.
On l'oublie trop souvent : l'État prend sa part de la protection contre l'inflation, grâce à l'indexation des prestations sociales, des pensions de retraite et du barème de l'impôt sur le revenu (IR). Toutes les retraites seront ainsi revalorisées de 5,2 % ; pas un Français ne sera soumis à l'impôt sur le revenu, s'il ne l'était déjà – sans ce mécanisme, ils auraient été 320 000. Ceux que leur entreprise n'augmentera pas suffisamment – de 1 ou 2 % seulement – verront donc leur impôt baisser. Dans le budget pour 2024, l'indexation représente 25 milliards d'euros de dépenses : 4,5 milliards pour l'indexation des prestations sociales ; 14 milliards pour celle des pensions de retraite ; 6 milliards pour celle du barème de l'IR.
Je veux tordre le cou à l'idée que l'État se remplirait les poches en période d'inflation, grâce à l'explosion des recettes de la TVA. Entre 2023 et 2024, celles-ci augmenteront de 10 milliards, quand les seules indexations représentent plus du double de dépenses. L'État perd au contraire de l'argent !
Notre deuxième défi consiste à accélérer le désendettement. C'est notre objectif de moyen terme. Le PLPFP, qui sera examiné ce soir en séance, prévoit de ramener le déficit à 2,7 % du PIB et la dette à 108 %, tout en baissant le taux de prélèvements obligatoires de 45,4 à 44,4 %, ce qui reste très lourd pour nos compatriotes. Cette trajectoire est sage.
Le PLF pour 2024 constitue la première étape de cette ambitieuse trajectoire pluriannuelle, avec 16 milliards d'euros d'économies : 10 milliards proviennent de l'extinction du dispositif de bouclier tarifaire ; 4,4 milliards du recentrage des dispositifs d'aide exceptionnelle aux entreprises ; un milliard des politiques de l'emploi, dont 600 millions des contrats d'apprentissage ; 700 millions de l'application de la réforme de l'assurance chômage.
Le désendettement est un impératif catégorique. Je recommande à tous ceux qui parlent d'austérité d'aller voir ce que cela signifie dans d'autres pays européens ou de reprendre les chiffres d'il y a dix ans, ils verront que c'est radicalement différent. Comment d'ailleurs parler d'austérité quand plus de 54 % de la richesse nationale sont consacrés à la dépense publique ?
Notre stratégie, volontariste, de désendettement dépend de trois leviers. Le premier, c'est la croissance, indispensable pour se désendetter. C'est pourquoi nous maintenons la politique de baisse des impôts sur les entreprises, à hauteur de 1 milliard pour la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) et que nous envisageons de diminuer de 2 milliards les impôts sur les ménages, en 2025.
Les réformes de structure constituent le deuxième levier ; celles du système de retraite et de l'assurance chômage rapporteront 25 milliards en 2027.
Les revues des dépenses publiques forment le troisième levier. Engagées en 2023, elles concerneront toutes les dépenses, sans exception. Chaque année, elles porteront sur quinze nouveaux secteurs, avec l'objectif de financer les 12 milliards d'euros d'économies nécessaires en 2025, qui ne sont pas documentées à ce jour. Nous avons six mois pour y parvenir : je profite de l'occasion pour souligner que toutes les bonnes volontés parlementaires seront les bienvenues. Grâce à ces revues, nous avons déjà identifié comment réaliser à terme 2 milliards d'économies. Il s'agit de mieux cibler la dépense publique et de la rendre plus efficace.
Toutefois, je vais être clair, notamment avec les députés de la majorité : ces revues sont nécessaires, mais pas suffisantes. Pour être efficaces et durables, elles doivent s'inscrire dans une réflexion globale sur les missions de l'État, sur le périmètre de l'action publique et sur les choix fondamentaux de politique sociale. Chacun doit comprendre que, sans de profondes réformes de structure, nous ne pourrons faire perdurer notre modèle social, car il ne peut fonctionner à perte ou à crédit. Les économies conjoncturelles ne suffiront pas. Si nous voulons continuer à soigner gratuitement ceux qui en ont le plus besoin, à éduquer dans les meilleures conditions et à protéger efficacement, l'État doit repenser ses missions. Avec gravité, parce que nous sommes arrivés au bout d'un chemin, j'invite tous les parlementaires de notre majorité à s'engager dans cette démarche. Depuis six ans, le Président de la République nous y exhorte ; elle fait l'identité de notre famille politique, et nous devons y être fidèles dans les prochaines années, pour éviter de devoir prendre des décisions dans l'urgence, ou déchirantes.
Le troisième enjeu du PLF est d'investir pour préparer l'avenir. C'est notre objectif de long terme.
La croissance est indispensable pour réduire la dette et le déficit, or pour susciter la croissance, il faut de l'investissement. C'est pourquoi nous avons supprimé la taxe d'habitation, et la contribution à l'audiovisuel public, et baissé l'impôt sur les sociétés. Cette politique de l'offre, de soutien aux entreprises, nous a permis de créer 2 millions d'emplois, d'engager la réindustrialisation de la France et de conserver une croissance positive en 2023, quand beaucoup de nos voisins sont en récession. Nous la poursuivrons. Le présent PLF prévoit d'appliquer l'imposition minimale à l'impôt sur les sociétés, dite pilier 2, qui placera les entreprises dans des conditions de concurrence fiscale équitables à l'échelle internationale. Elle nous rapportera 1,5 milliard par an à partir de 2026, prouvant qu'on peut être en même temps efficace et juste.
Nous avons choisi de financer notamment la sécurité et les domaines régaliens, pour appliquer scrupuleusement les lois de programmation des ministères de la justice, de l'intérieur et des armées. Le Président de la République a donné la priorité à l'éducation et à la santé. Enfin, comme il l'a expliqué lundi, et la Première ministre hier soir, nous avons fait des choix décisifs en faveur de la décarbonation et de la transition écologique.
Le budget consacré à MaPrimeRénov' sera porté à 5 milliards d'euros par an, soit une augmentation de 1,6 milliard. Nous amplifierons nos efforts sur les véhicules électriques, en augmentant le bonus automobile pour les classes moyennes et les personnes les plus modestes, et en ouvrant en novembre les préréservations pour un leasing à 100 euros par mois pour les 50 % des ménages les plus modestes, avec un premier loyer intégralement pris en charge par l'État.
Nous favoriserons la production d'énergie nucléaire. Nous travaillerons avec EDF pour déterminer le prix de l'énergie le plus proche possible du coût moyen de production. Nous ne voulons plus que le coût moyen de l'électricité en France, produite grâce aux énergies renouvelables ou au nucléaire, soit indexé sur le coût marginal de l'ouverture de la dernière centrale à gaz dans l'est de l'Europe.
Enfin, les investissements dans la décarbonation supposent d'engager la conversion de notre fiscalité. Il serait shadokien de créer des avantages fiscaux pour les énergies vertes et la décarbonation tout en conservant ceux consentis aux énergies fossiles. Je salue la responsabilité des secteurs concernés : avec les agriculteurs et les entrepreneurs de travaux publics, nous sommes parvenus à un accord concernant la réduction de l'avantage fiscal accordé au gazole non routier (GNR). Ainsi, la transition écologique avance quand les mesures ne sont pas imposées mais discutées, et quand on accompagne les gens en leur donnant des solutions, au lieu de les confronter à des problèmes.
Il y a trois ou quatre ans, nous pensions pouvoir supprimer cet avantage fiscal en un seul PLF. Nous avons reporté trois fois la décision. Mieux vaut discuter avec les secteurs concernés pour définir les mesures possibles et raisonnables. Concrètement, pour les agriculteurs, le tarif des droits d'accise sur le GNR augmentera de 2,85 centimes par litre de carburant en 2024 ; l'augmentation sera la même jusqu'en 2030 et l'intégralité des recettes supplémentaires sera consacrée à aider les agriculteurs et à développer la filière du biocarburant.
Au total, le texte prévoit plus de 40 milliards pour la transition écologique, soit une hausse de 7 milliards en crédits de paiement (CP) et de 10 milliards en autorisations d'engagement (AE) par rapport à 2023. Cela prouve qu'il s'agit d'une priorité du Président de la République et de la majorité.