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Intervention de Jean-René Cazeneuve

Réunion du lundi 25 septembre 2023 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-René Cazeneuve, rapporteur général :

Après son rejet par l'Assemblée nationale le 25 octobre 2022, son adoption par le Sénat dans une version substantiellement modifiée le 2 novembre 2022 et l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) qui s'est réunie le 15 décembre 2022, le projet de LPFP pour les années 2023 à 2027 sera examiné par notre assemblée en nouvelle lecture en séance publique le 27 septembre 2023.

Cette inscription à l'ordre du jour est la bienvenue, tant il est indispensable de doter notre pays d'une loi de programmation des finances publiques. Le Premier président de la Cour des comptes nous a expliqué à de très nombreuses reprises qu'il fallait disposer d'une telle loi. Nous avons en outre reçu de nombreux documents attestant que nous risquions de perdre des sommes très importantes. Malgré cela, je vois que certains doutent. Mon intervention sera donc précise et factuelle – et peut-être un peu ennuyeuse.

Au cours du premier semestre de l'année 2023, j'ai pris l'initiative en tant que rapporteur général de consulter directement par écrit chacun des responsables des groupes politiques d'opposition au sein de la commission des finances, afin de savoir quelles étaient les évolutions du texte qu'ils souhaitaient.

C'était aussi une occasion pour moi de rappeler les raisons pour lesquelles je considère qu'il relève de l'intérêt général que notre pays adopte rapidement une telle loi de programmation.

En premier lieu, en se référant à « l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques » mentionné à l'article 34 de la Constitution, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit que la LPFP est l'instrument par lequel la France met en œuvre les règles européennes encadrant la conduite par les États membres de l'Union de leur politique budgétaire. Dans ce contexte, la LPFP constitue la référence obligée par rapport à laquelle le HCFP juge des écarts constatés lors de l'exécution budgétaire. Chacun a pu noter que son président – qui est également le Premier président de la Cour des comptes – souligne régulièrement, tout particulièrement devant notre commission, la nécessité financière et juridique de définir à court terme une telle référence pour notre pays.

Il ne s'agit pas de savoir si la LPFP sera ou non respectée, mais bien de disposer d'un tel instrument. Car c'est cet engagement du Gouvernement envers le Parlement et les Français qui permet au HCFP de mesurer les écarts par rapport à la trajectoire, et qui nous permet de demander des explications. Ne nous privons pas de cet outil essentiel pour la vie démocratique.

S'il disposait d'un cap législatif financier clair, notre pays pourrait mieux défendre ses intérêts au sein de l'Union européenne (UE), notamment au moment où celle-ci procède à la révision des règles relatives à la conduite des politiques budgétaires nationales. Si nous souhaitons promouvoir un encadrement communautaire qui tienne compte de la situation de chaque État et qui accorde toute leur place aux investissements nécessaires à la transition écologique et au réarmement régalien, nous devons nous doter d'une programmation exemplaire et crédible du financement de nos priorités.

Il faut souligner que la France a pris des engagements dans le cadre du plan de relance européen NextGenerationEU, lesquels comprennent l'adoption d'une LPFP.

Parmi les cibles et jalons 2022 sur la base desquels notre pays a demandé à la Commission européenne de bénéficier de 12,7 milliards figure, sous le numéro 7-13, l'engagement de procéder à la « Construction des lois financières articulée avec les évaluations de la dépense publique couvrant le champ des [administrations publiques (APU)] dans le respect de la trajectoire de dépenses de la loi de programmation des finances publiques ». Si le Gouvernement a remis au Parlement, à la fin du mois de juillet 2023, un rapport sur l'évaluation de la qualité de l'action publique évoquant les conclusions d'une série d'évaluations sur le fondement de l'article 167 de la loi de finances pour 2023, force est de constater que cet exercice n'a pas pu être effectué en se référant à la trajectoire définie par une LPFP.

Parmi les cibles et jalons 2023 sur la base desquels la France doit demander un nouveau versement dont l'échéance intervient en 2024, pour un montant de 6,9 milliards, figure sous le numéro 7-9 l'engagement explicite de l'« entrée en vigueur d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques (LPFP) mettant en œuvre les nouvelles dispositions législatives organiques adoptées et fixant une trajectoire de finances publiques permettant de stabiliser puis de faire décroître le ratio de la dette ». On note que ce jalon ne se borne pas à l'entrée en vigueur d'une LPFP, puisqu'il fixe un contenu s'agissant du profil d'évolution de la dette publique.

Chacun peut se livrer à des conjectures sur ce que pourrait être l'attitude de la Commission si notre pays ne respectait pas un jalon. J'ai demandé très récemment des précisions sur ce point au ministre de l'économie et des finances, qui m'a répondu. L'ensemble de ces échanges a été mis à la disposition des commissaires aux finances avant l'examen du texte en nouvelle lecture. Je n'ai franchement pas envie que notre commission des finances joue avec l'argent des Français. Le sujet est trop important, ne prenons pas de risque !

Il convient de relever les éléments suivant.

S'agissant du jalon 7-13, associé au premier des deux versements évoqués, la Commission européenne a très récemment fait savoir à la France par les deux courriers précités de septembre 2023 qu'afin de mener à bien l'évaluation de la réalisation de ce jalon, elle souhaitait être informée de l'avancée de la procédure d'adoption du projet de LPFP et que lui soit communiqué « ce texte […] une fois ce dernier adopté ». Ces propos ont un sens : pas de LPFP adoptée par le Parlement, pas d'évaluation du jalon, et donc pas de versement.

Ce constat est valable a fortiori pour le jalon 7-9, dont l'objet même est l'entrée en vigueur de la LPFP dans le cadre de la demande de versement que la France doit formuler en fin d'année 2023.

De façon plus générale, la législation européenne relative au plan de relance NextGenerationEU et les lignes de conduite que la Commission met en œuvre en la matière prévoient que cette dernière décide du montant dont le versement est suspendu en cas de non-respect d'un engagement, qu'elle peut définitivement annuler tout ou partie d'un versement si un État-membre ne parvient pas à atteindre sa cible dans un délai de six mois après le constat d'un manquement et qu'elle juge du quantum de fonds suspendus en fonction de l'importance qu'elle accorde à l'engagement considéré.

In fine, l'absence de LPFP fait peser un risque sur les plus de 27 milliards, nets des préfinancements, qui doivent être versés à la France. Eu égard à la situation de nos finances publiques, par rapport à la Commission comme par rapport à nos prêteurs, il faut arrêter de croire qu'un arrangement de dernière minute ou une pirouette peut se substituer au respect d'un engagement. Partons au contraire du principe suivant : il existe un risque réel que nous ne puissions pas bénéficier de tout ou partie du plan de relance européen en l'absence de promulgation d'une LPFP. On peut supposer que ce risque serait encore plus grand si l'attitude publique du Parlement consistait à parier qu'un rejet du projet de loi de programmation des finances publiques ne conduirait pas la Commission européenne à refuser de verser à la France les fonds dont elle a vocation à bénéficier.

Conformément au programme de stabilité présenté par la France à la Commission européenne en avril 2023, la nouvelle lecture du projet de LPFP est l'occasion pour le Gouvernement de proposer de conforter notre trajectoire de maîtrise de nos finances publiques.

Le Gouvernement propose ainsi une cible plus ambitieuse de maîtrise du solde public pour chaque année de 2023 à 2027, en fixant un objectif à moins 2,7 % du PIB en 2027, contre moins 2,9 % dans le texte déposé il y a un an. S'agissant du ratio de dette publique rapportée au PIB, la nouvelle trajectoire envisage sa décrue chaque année de 2023 à 2027, alors qu'il y a un an le Gouvernement prévoyait son augmentation en 2024 et en 2025. Il est désormais prévu d'atteindre un taux d'endettement public de 108,1 % en 2027, soit un niveau inférieur de près de trois points à celui retenu dans la projection initiale.

Alors que le taux de prélèvements obligatoires devrait rester sensiblement stable sur la durée de la programmation, la trajectoire de maîtrise des finances publiques s'appuie essentiellement sur le reflux de la dépense publique rapportée au PIB. Elle passerait de 55,9 % en 2023 à 53,8 % en 2027. Cet effort pèse en premier lieu sur l'État et les administrations centrales, dont les dépenses doivent diminuer en volume de 0,9 % chaque année sur la période de programmation, hors charge de la dette. L'effort demandé aux collectivités territoriales correspond à une baisse annuelle de 0,3 % de leurs dépenses en volume sur la durée de la programmation.

Afin de contribuer au respect de ces trajectoires ambitieuses, le Gouvernement propose, à l'occasion de la nouvelle lecture, de définir pour l'État un objectif de 6 milliards d'économies chaque année de 2025 à 2027, à documenter sur la base des revues de dépenses.

Trajectoire plus ambitieuse, effort accru sur la dépense publique – notamment pour l'État –, fixation d'objectifs chiffrés d'économies documentées par des travaux d'évaluation et suppression de tout dispositif d'encadrement des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales : à l'occasion de la nouvelle lecture, la trajectoire réaliste proposée par le Gouvernement, tout comme les moyens de la respecter, se rapproche de la vision de la maîtrise des finances publiques exposée par le Sénat lors de l'examen du texte à l'automne 2022 – même si celui-ci avait alors proposé une trajectoire plus exigeante.

La nouvelle lecture doit être l'occasion de poursuivre la navette de façon constructive dans la perspective d'un rapprochement des positions.

Au demeurant, la définition de la trajectoire de nos finances publiques est loin d'être le seul sujet du texte. Il prévoit d'autres avancées importantes : de nouveaux dispositifs d'évaluation et d'encadrement des dépenses fiscales et sociales ainsi que des aides aux entreprises ; le principe du plafonnement de toutes les taxes affectées et l'encadrement de la fixation des plafonds correspondants ; la définition d'une trajectoire de baisse du poids relatif des dépenses publiques défavorables à l'environnement.

En conclusion, de nombreuses raisons militent pour doter à court terme notre pays d'une LPFP. Il s'agit de respecter l'encadrement constitutionnel, organique et communautaire de nos finances publiques, qui implique la fixation d'une trajectoire de maîtrise de celles-ci et de désendettement. Il convient de garantir que notre pays pourra bénéficier des fonds du plan de relance européen. Il faut mettre en place et développer des outils de bonne gestion financière. Enfin, il est nécessaire que le Parlement se dote d'outils de suivi et de contrôle du Gouvernement.

Je forme le vœu que des oppositions, qui ont des visions antagonistes en matière de dépenses publiques – les uns parlant d'austérité, les autres de gabegie – ne s'allieront pas pour faire échouer ce texte ambitieux, mais équilibré, et que le sens de l'intérêt général conduira certains groupes d'opposition à vouloir doter notre pays d'une LPFP.

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