Je ne pense pas que la France soit un cas isolé. Ce n'est pas le pays où la radicalité et la violence politiques sont les plus fortes, bien au contraire ! Nous en sommes loin, notamment du fait de la vieille histoire démocratique de la République française qui fait qu'un certain nombre de garde-fous et d'institutions préservent les libertés publiques davantage que dans d'autres pays… Mais pas dans tous ! Cependant, divers éléments laissent à penser que la situation se dégrade. Plusieurs affaires ont montré les libertés publiques, notamment associatives, attaquées. Bien sûr, nous ne serons pas d'accord sur le bilan de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi « séparatisme », qui nous semble marquée par un désir de contrôle et de suspicion envers les associations. Cette loi a conduit des préfectures à vouloir retirer des subventions à certaines associations au prétexte qu'elles organisaient des ateliers, donc des débats, sur la désobéissance civile.
Le phénomène qui alerte tout le monde depuis des années est bien sûr la question des violences policières. Comme beaucoup d'autres, nous constatons que ce phénomène s'est radicalisé. À partir de quand ? Souvent, les choses sont datées de 2016. Ce qui est sûr, c'est que les procédures utilisées au moment de l'état d'urgence face au terrorisme en 2015 ont été réutilisées à l'encontre de militants avec des assignations à résidence et des contrôles fréquents. Nous ne reviendrons pas sur les chiffres, nous n'en aurions probablement pas le temps. Mais toutes les études sur ce qu'il s'est passé en 2016, au moment de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, puis avec le mouvement des gilets jaunes, où 860 cas de violences policières ont été vérifiés et documentés entre décembre 2018 et juin 2019, montrent que les pratiques policières ont connu une certaine transformation.
L'autre évolution marquante est l'utilisation de plus en plus rapide et offensive d'un certain nombre d'armes de la part des forces de l'ordre, et la volonté d'aller au contact des manifestants. Dans le questionnaire que vous nous avez envoyé, vous demandez si nous pensions que les pratiques actuelles du maintien de l'ordre allaient dans le sens d'un maintien à distance. Nous voyons bien que ce n'est pas le cas. Plusieurs institutions avec lesquelles nous n'avons pas spécialement de lien, comme les Nations unies et le Conseil de l'Europe, se sont inquiétées de l'usage excessif de la force et du risque qu'il fait peser sur les libertés publiques. Durant le mouvement des gilets jaunes, nous avons comptabilisé trente mille personnes blessées par le maintien de l'ordre, trente personnes éborgnées et cinq personnes à la main arrachée. Une personne est décédée à Marseille après avoir été touchée par une grenade lacrymogène alors même qu'elle n'était même pas manifestante. Alors oui, il y a un problème sur ce point.