En réponse aux questions du rapporteur, même si nous ne lui répondrons peut-être qu'en partie, nous avons été effectivement étonnés d'être convoqués devant cette commission d'enquête. Nous nous sommes demandé en quelle qualité nous étions entendus. Vous avez quelque peu précisé les choses. Mais, à la lecture du questionnaire qui nous a été adressé, le doute subsiste. Est-ce en notre qualité d'experts ? Notre association ne travaille pas particulièrement sur la doctrine du maintien de l'ordre. Il existe des spécialistes bien plus affûtés. Est-ce en tant que partie prenante du mouvement social qui a donné lieu aux contestations de la période du 16 mars au 3 mai 2023, qui intéresse cette commission ? Est-ce parce que nous incarnons, avec d'autres, une forme d'opposition politique ? C'est peut-être là que la question se pose.
Bien sûr, nous assumons ce statut. Nous nous opposons au pouvoir en place depuis 2017. D'ailleurs, nous avons publié en 2022 un livre sur le bilan du macronisme. Mais au-delà de notre présence, ce sont surtout les questions posées qui nous interrogent. Elles semblent relever d'une suspicion a priori, qui s'ajoute à la longue liste de déclarations de ministres et d'élus qui qualifient les manifestations d'opposition de violentes, radicales, extrémistes, antirépublicaines voire terroristes. L'ensemble de ce vocabulaire ne nous semble pas correspondre à la réalité. Il marque, dans le discours comme dans les faits, une dérive autoritaire. Combattre les idées de son opposition par la répression n'est pas digne d'un gouvernement qui se revendique de la démocratie. Or, depuis plusieurs d'années et comme attesté par de nombreux rapports, en France ou au niveau international, nous constatons une dégradation des libertés publiques.
Vous avez fait référence à certaines décisions que nous avons mentionnées dans notre récente communication. Il y aurait pu en avoir beaucoup d'autres. Des personnes aussi respectables que François Molins, l'ancien procureur général près la Cour de cassation, s'en émeuvent. Lui utilise un terme savant : il parle de risque de mithridatisation face aux restrictions des libertés publiques. La mithridatisation est le fait d'ingérer des doses croissantes d'un produit toxique afin d'acquérir une résistance à celui-ci. Autrement dit, à force d'accumuler les mesures liberticides, nous nous habituons à cette restriction des libertés. Nous estimons que réduire le périmètre de la démocratie revient à tendre la main à des tentations autoritaires. François Molins rappelle également que l'État de droit se définit par la garantie des libertés fondamentales d'expression, de manifestation, de réunion et d'association. Il met en garde contre ce qu'il appelle les procès en « terrorisation » de l'action politique et syndicale. L'usage de l'expression « écoterrorisme » par un ministre est à cet égard parlant. Cette commission d'enquête nous a donc inquiétés, non pour ce qui concerne Attac ni pour les risques que nous pourrions courir, mais plutôt du fait des préoccupations des parlementaires qui émanent du questionnaire que nous avons reçu.
Il y aurait beaucoup à dire sur les violences quotidiennes dans la société. Il y a celles commises contre les migrants qui fuient leur pays quand ils arrivent en France ou quand ils meurent en mer. Il y a les violences sexuelles et sexistes qui touchent les femmes, au travail ou à leur domicile, ou qui frappent les minorités sexuelles. Il y a les violences à l'encontre des populations les plus pauvres, à qui l'on réduit les allocations chômage et qui ne trouvent plus dans l'État social les moyens d'être protégées. Il y a les violences qui touchent les jeunes des quartiers populaires. Il y a les violences au vivant à cause du productivisme et de l'agro-industrie. Nous serions prêts à parler de tout cela. Mais la liste est longue et une commission parlementaire n'y suffirait pas. Cependant, puisque nous avons été convoqués, nous répondrons à vos questions.