C'est ce que je dis : je compare le cas des manifestations et des propos tenus dans le rapport et par le ministre Véran avec les éléments tragiques de l'actualité la plus récente, du seul point de vue des qualifications juridiques, car c'est cela qui m'intéresse.
Vous employez à de nombreuses reprises dans le rapport l'expression « violences extrêmes ». J'aimerais savoir ce que sont des violences extrêmes par rapport à des violences modérées. Quel est le sens juridique ou politique de cette expression ? Dans les dossiers qui me concernent, et cela répondra à l'une des questions qui m'ont été adressées, il y a rarement des violences au sens strict. Il y a parfois des violences, sans incapacité de travail, contre des personnes dépositaires de l'autorité publique, punies de cinq années d'emprisonnement depuis la loi du 24 janvier 2022. Si vous qualifiez d'extrêmes des violences que la loi punit de cinq années d'emprisonnement, comment qualifiez-vous des violences bien plus graves, parfois criminelles, qui peuvent entraîner la mort ?
Ces questions de vocabulaire me semblent absolument capitales : vous êtes la Représentation nationale, vous avez une responsabilité considérable quant aux mots que vous employez, pour que l'arbitraire ne puisse se loger dans le droit. Je ne reviens pas sur la distinction entre violences et dégradations car j'ai été rassuré sur ce point par votre propos introductif, monsieur le président. Je regrette toutefois qu'elle n'apparaisse pas clairement dans le rapport.
L'affaissement du vocabulaire juridique s'observe jusqu'à la lettre que vous a adressée M. Éric Dupond-Moretti et qui est annexée au rapport. Le garde des Sceaux y parle d'infractions pénales qui n'existent pas, puisqu'il évoque des procédures diligentées pour des faits de « participation à un attroupement armé en vue de la préparation d'un délit contre les personnes ou les biens » et de « participation à un attroupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ». Aucun texte ne prévoit ces infractions. Sur le plan sémantique, la situation est grave. Un ministre de la justice, ancien avocat, n'est pas capable de donner des précisions juridiques suffisantes sur des éléments factuels.
Dans le respect du secret professionnel, je peux vous communiquer quelques éléments statistiques pour la période qui court du 16 mars au 3 mai 2023. J'ai pris attache hier avec mon vice-bâtonnier, qui m'a confirmé que je pouvais vous donner des éléments ayant fait l'objet de débats en audience publique.
J'ai été personnellement amené à défendre dix-neuf personnes interpellées pendant des manifestations et placées en garde à vue. Certaines ont été déférées devant le procureur de la République. Trois ont été déférées en comparution immédiate et relaxées par le tribunal ; l'honnêteté m'oblige à vous dire que le parquet a fait appel de ces décisions. Une autre a été renvoyée en justice et condamnée pour des faits de violences ; nous avons interjeté appel et elle reste donc présumée innocente. Une autre encore a été déférée mais elle est finalement défendue par l'une de mes consœurs, et je ne connais pas le résultat de la procédure. Une autre enfin a été renvoyée en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais le parquet a abandonné les poursuites.
Au total, sur dix-neuf personnes défendues, une seule a été condamnée et cette condamnation n'est pas définitive. De mon point de vue d'avocat, voilà dix-huit personnes qui ont été interpellées, et donc privées de leur liberté, à tort. Comment respecter la liberté des citoyens ? Voilà la question que votre commission devrait se poser.
Je souhaite appeler votre attention sur plusieurs textes et des pratiques qui devraient à mon sens être abrogés ou modifiés afin de protéger la liberté de manifester, si tant est que vous y soyez attachés.