Je voulais dire à la commission que je risque malheureusement de la décevoir : je ne pense pas être au contact d'auteurs de violences. Je suis au contact de personnes dont j'ai l'honneur d'assurer la défense et qui sont considérées par des services de police, des procureurs et, dans de très rares cas, par des magistrats du siège comme des auteurs de violences. Je ne sais donc pas si je pourrai vous éclairer sur ce point.
Pour préparer cette audition, j'ai lu attentivement le rapport qui a conduit à l'adoption de la proposition de résolution, ainsi que cette dernière. J'ai quelques commentaires juridiques à faire en ma qualité d'avocat sur certains termes qui y sont employés. Je répondrai ensuite à certaines de vos questions sur le fondement des éléments statistiques issus de ma pratique professionnelle dans la période qui vous intéresse, du 16 mars au 3 mai 2023. Enfin, je me permettrai de proposer des dispositions législatives dont l'adoption garantirait le respect du droit de manifester.
En ce qui concerne le vocabulaire, j'appelle l'attention de l'Assemblée nationale sur le fait que nous, avocats, plaidons chaque jour devant des juridictions et que, chaque jour, nous devons travailler à l'interprétation des textes de loi. Nous nous référons donc très souvent aux débats parlementaires. Je passe une grande partie de mon temps professionnel à lire les comptes rendus des débats à l'Assemblée nationale, en commission comme dans l'hémicycle, en remontant loin dans le passé, depuis l'existence de l'Assemblée. Nous en avons besoin pour éclairer le juge dans le cadre de notre travail de défense. Lorsque j'entends que le terme de violences doit être compris dans son sens commun et non dans son sens juridique, je suis interloqué : comment vais-je plaider devant des magistrats si ceux qui fabriquent la loi n'emploient pas les termes dans leur sens juridique précis ?
Quelques exemples. Le 3 mai 2023, vous avez débattu au sujet de l'adoption de la proposition de résolution tendant à créer cette commission d'enquête. L'un des membres de l'Assemblée nationale, le député d'extrême droite Julien Odoul, a parlé de l'identité des groupuscules qui font l'objet de la commission d'enquête en les qualifiant de « terroristes du quotidien ». Ces termes figurent dans le compte rendu des débats. Au cours de la même réunion, le président de la commission des lois a repris un autre député au sujet de propos qu'il avait tenus. En revanche, j'ai constaté que personne n'avait repris le député qui a utilisé le terme « terroristes » pour qualifier des personnes participant à des manifestations. En tant que citoyen, en tant qu'avocat, cela me choque particulièrement. Cela m'apparaît comme une insulte aux victimes du terrorisme. Cela provoque un affaissement de la langue juridique qui ouvre la porte à l'arbitraire, soit le contraire de l'État de droit auquel je vous suppose particulièrement attachés.
L'intitulé de la commission d'enquête comporte l'expression « groupuscules auteurs de violences ». Vous envisagez donc, du point de vue juridique, une responsabilité collective. Or, vous connaissez la loi et l'article 121-1 du code pénal, qui dispose que « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ». Un groupuscule ne peut pas être auteur de violences.
Une autre expression figure dans le rapport à de nombreuses reprises : « manifestations autorisées ». Elle n'a strictement aucun sens juridique. En ma qualité de juriste, elle me choque. Le code de la sécurité intérieure prévoit en matière de manifestations un régime, non pas d'autorisation, mais de déclaration, issu d'un décret-loi de 1935 adopté à l'issue des manifestations insurrectionnelles d'extrême droite du 6 février 1934, qui avaient failli renverser la République. Fort heureusement, cela n'est pas arrivé.
Vous évoquez dans votre rapport, à l'unisson du ministre Olivier Véran, l'idée que certains manifestants viendraient en manifestation pour tuer : « il n'est plus seulement question de s'en prendre aux banques ou d'arracher des cultures, mais véritablement de tuer ceux qui portent l'uniforme de la République ». Olivier Véran avait tenu des propos similaires à l'issue de la manifestation du 1er mai. Il me semble important de souligner qu'aucune enquête judiciaire n'a été ouverte contre des manifestants pour des faits d'homicide volontaire ou de tentative d'homicide volontaire au cours de la période qui vous intéresse. Lorsque vous l'avez entendue, la procureure de la République de Paris, dont j'ai écouté l'audition avec attention, n'a d'ailleurs fait état d'aucune enquête pour tentative d'homicide volontaire. Il y a là, de votre part et de celle du ministre Véran, un affaissement du langage juridique, car il n'y a pas de volonté de tuer chez qui que ce soit. Ces propos font même insulte à ceux qui sont effectivement victimes de meurtre ou d'homicide volontaire, comme Nahel, cet enfant tué par un policier à Nanterre il y a deux jours.