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Intervention de Christophe Bourseiller

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 8h35
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Christophe Bourseiller, essayiste, auteur de Nouvelle histoire de l'ultra-gauche :

Vous m'avez interrogé sur l'implication des mouvements autonomes dans les revendications. Lorsqu'ils interviennent en contrepoint des manifestations contre la réforme des retraites, on voit bien que cette dernière est le cadet de leurs soucis. Ils n'ont pas d'avis sur cette question, qui ne les intéresse pas. Ils sont en revanche de fins stratèges. Aussi ont-ils réagi habilement à l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, lançant immédiatement une campagne dénonçant la dictature. C'est à partir de ce slogan qu'ils ont réussi à faire bouger les choses. Ils ont profité de l'évolution de la crise.

Je n'en dirai pas autant de Sainte-Soline, qui correspond à l'un des cœurs de cible de l'ultragauche. Depuis 1972 et la publication de Guy Debord, la cause environnementale est centrale pour ces activistes. Certains sont primitivistes, depuis longtemps en pointe dans la lutte écologiste radicale. En 2000, déjà, l'un de leurs camarades était mort en essayant de bloquer un train de déchets radioactifs. On a beaucoup parlé, ces derniers jours, du collectif Les Soulèvements de la Terre, qui s'inscrit en réalité dans la dynamique de Notre-Dame-des-Landes. En ce lieu se côtoient des autonomes, bien sûr, mais aussi des gens qui pratiquent la permaculture ou qui veulent vivre différemment, loin de tout. Ces individus très divers ont un point commun : ils sont plutôt de sensibilité libertaire antiautoritaire, sans être tous violents pour autant. Ainsi, à Sainte-Soline, les autonomes sont partie prenante de quelque chose de plus large.

On perçoit une différence entre les autonomes actuels et ceux du XXe siècle. Ces derniers étaient les adversaires des organisations syndicales et des mouvements politiques de gauche, dont ils attaquaient les cortèges. Je les ai moi-même vus prendre d'assaut – très courageusement, à 20 contre 100 000 – la tête d'un cortège, considérant qu'il était constitué de valets du capital. Aujourd'hui, en revanche, une grande partie de l'extrême gauche éprouve une forme de mansuétude à l'égard des autonomes. Elle n'est pas d'accord avec eux, mais elle les laisse faire ce qu'ils veulent. Au XXe siècle, il y avait de très forts affrontements entre les services d'ordre des mouvements d'extrême gauche et les autonomes. Au XXIe siècle, c'est la tolérance mutuelle qui domine, y compris du côté des organisations syndicales.

Jusqu'à la chute du mur de Berlin, la Confédération générale du travail (CGT) était connue pour avoir un service d'ordre pléthorique, très dur, qui nettoyait tout sur son passage. La police n'avait pas besoin d'intervenir. Les autonomes priaient même pour que ce soit la police qui vienne à leur rencontre, tant le service d'ordre syndical était violent. Je l'ai vu un jour virer un cortège anarchiste, pourtant très pacifique, qui s'était intercalé dans le cortège : les anarchistes se sont fait arracher leurs banderoles, ils étaient tous en sang. On ne rigolait pas ! Lorsque le mur de Berlin est tombé, la CGT s'est ouverte et diversifiée. Son service d'ordre s'est réduit comme peau de chagrin. Quand les autonomes sont revenus à l'assaut, au début des années 2000, les organisations syndicales ont demandé à la police de faire son travail afin de manifester tranquillement. Le retour des services d'ordre est récent. Il date d'il y a deux ou trois ans. On l'a vu dans les manifestations contre la réforme des retraites. Après le cortège de tête, trois épaisseurs de gros bras syndicaux forment désormais une sorte de couloir hermétique.

Cette évolution concerne aussi la façon dont les autonomes sont perçus. Au XXe siècle, ils faisaient peur. Ils étaient considérés comme des voyous, des casseurs et des pillards. Ils débarquaient au milieu d'une manifestation pacifique pour casser toutes les vitrines et voler des objets de valeur. Je me souviens d'un autonome ayant brisé une vitrine de la bijouterie Burma, sur les Champs-Élysées, contrarié de s'apercevoir que les bijoux qu'il allait subtiliser étaient en toc. Aujourd'hui, les autonomes cherchent à être considérés comme la partie la plus turbulente et violente du mouvement ouvrier. À cette fin, ils font quelque chose qui les rend populaires : lorsqu'ils pillent un magasin, ils distribuent immédiatement, tel Robin des Bois, le fruit de leur larcin à ceux qui les entourent, qui en sont ravis. Après avoir pillé le Fouquet's en mars 2019, ils ont redistribué les bouteilles de vin.

Beaucoup de gens en viennent à penser que manifester n'apporte rien, et que c'est quand on casse qu'on obtient satisfaction. Ils laissent donc les autonomes casser à leur place, espérant gagner quelque chose grâce à eux. Ainsi, dans les manifestations, les autonomes ne reçoivent pas aujourd'hui le même accueil que dans les années 1970 : ils ne sont plus les hors-la-loi qu'ils étaient précédemment, ils bénéficient même d'une aide et d'une assistance juridique. Cependant, ils renient ainsi une part de leur identité profonde, de leur désir d'illégalité. Alors qu'ils devraient être en rupture avec le monde, avec la société du spectacle, ils suscitent désormais une apathie souriante de la part de certains manifestants. Quelques-unes de leurs actions demeurent mal accueillies par le public, comme en 2016 lorsqu'ils s'en sont pris à l'Hôpital des enfants malades. Mais il y a là une évolution relative qu'il convient de noter.

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