Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du jeudi 14 septembre 2023 à 10h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre :

C'était tout à fait le sens de ma réflexion. D'une manière générale, le système européen de gestion de trafic des trains, dit ERTMS 2 – bientôt ERTMS 3 –, permet de rapprocher les trains et donc de les cadencer un peu différemment, ce qui a pour conséquence de désaturer les nœuds ferroviaires. C'est dans ce sens que je disais que le cadencement des trains serait certainement supérieur si l'on modernisait le réseau. Le fait que le réseau ne soit pas saturé est en soi une bonne nouvelle.

En ce qui concerne l'ouverture à la concurrence, j'ai toujours eu une approche nuancée, y compris quand j'étais au Gouvernement, et mes propos dans l'hémicycle allaient dans ce sens. L'exemple des Britanniques est frappant. Ils ont tout essayé : privatiser le réseau, franchiser les lignes, puis ils sont revenus à des modes plus centralisés – colbertistes, dirions-nous. Transport for London, pour des segments hyperdenses s'apparentant à la ligne 1 du métro parisien ou au RER A, a de nouveau opté pour des systèmes plus intégrés. Nous ne sommes pas à la fin de l'histoire. Je ne suis pas en mesure de vous dire de quoi sera fait le monde des transports en 2040, mais mon sentiment est que, sur certains segments, une concurrence régulée peut très bien s'exercer. Je rappelle à cet égard que le mode ferroviaire est très régulé : pour exercer en tant qu'opérateur ou entreprise ferroviaire, il faut être certifié. Des règles précises s'imposent concernant la maintenance, ou encore les mécaniciens. Il ne faudrait pas laisser croire que n'importe quelle structure peut s'improviser entreprise ferroviaire. Des autorités étudient les choses de manière très précise.

Il n'en reste pas moins qu'il y a certainement des segments pour lesquels la concurrence est pertinente, et d'autres où elle l'est moins ; l'avenir le dira. Le rôle des responsables politiques est d'étudier la situation lucidement et de voir comment les choses évoluent : parfois cela se passe bien ; parfois moins, mais cela s'améliore ; d'autre fois encore, cela ne s'améliore pas, donc il convient de faire autrement. C'est le sens des propos que je tenais déjà quand j'étais ministre, et je les maintiens.

Je ne me livrerai pas à l'exercice de politique-fiction que vous me proposez. J'ai quitté le ministère des transports il y a quatorze mois ; depuis que Clément Beaune exerce ses fonctions, la situation a évolué. Comme il vous l'a dit, il a opté pour la solution qui lui paraissait la plus pertinente, compte tenu des risques afférents aux deux options qui s'offraient à lui, à savoir la discontinuité d'une part, le maintien d'une forme de rapport de force avec la Commission d'autre part. La seconde option supposait de s'engager dans un contentieux et de faire valoir de façon plus rude la position française. Il a fait le choix de la discontinuité et vous en a expliqué les raisons. La critique est aisée, mais l'art est difficile. Je connais trop bien la difficulté de la fonction pour porter un jugement. Qui plus est, celui-ci ne serait pas pertinent. J'essaie de vous expliquer de façon honnête et sincère ce que j'ai fait et quelle était, pour conduire cette action, l'analyse politique et économique que je faisais du système ferroviaire. Je vous ai dit pourquoi, avec le soutien des Premiers ministres Édouard Philippe et Jean Castex, et en parfaite coordination avec Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF, nous défendions notre position de façon un peu rude.

En ce qui concerne la préparation du groupe SNCF et l'évolution engagée en 2018, j'ai beaucoup appris des auditions que j'avais menées à l'époque en tant que rapporteur. J'avais constaté alors, aussi bien de la part des cheminots et des syndicats que des dirigeants, l'absence d'une approche proactive de l'ouverture à la concurrence dans le fret. C'est ce qui explique que d'autres opérateurs ferroviaires sont venus disputer ses marchés à Fret SNCF de manière un peu agressive. L'opérateur n'était pas préparé pour répondre aux appels d'offres et il en a perdu plusieurs. Sa part de marché a diminué, et le marché lui-même a rétréci.

Je fais un constat assez objectif, me semble-t-il, sur le choix qui a consisté à désendetter le groupe et sur les mesures que celui-ci a prises pour rétablir sa situation économique. Il s'agissait de trouver un équilibre. L'État a consenti des moyens considérables : la dette du groupe s'élevait à 35 milliards. Un tel niveau d'endettement était insoutenable. Cela aurait empêché toute forme de développement de la maison SNCF sur les divers segments que nous avons évoqués. Dans le même temps, il a été demandé à la SNCF d'organiser un plan de productivité, y compris en envisageant certaines cessions d'actifs au sein du groupe. Vous savez bien, pour être vous-même cheminot, qu'en dehors de l'entreprise ferroviaire, qui est son cœur de métier, le groupe est positionné dans de nombreuses activités à travers des prises de participation. Il est par exemple engagé dans un autre segment de la mobilité avec Geodis. La cession d'Ermewa pour 1 milliard d'euros a été jugée souhaitable par l'État et par le groupe. Elle devait contribuer au désendettement de la SNCF et permettre à celle-ci de se concentrer sur son cœur de son métier, à savoir le développement du trafic ferroviaire fret et passagers.

Il y a bien d'autres belles pages à écrire dans le domaine du ferroviaire. Je pense, notamment, aux nouveaux wagons intermodaux et aux terminaux combinés. Le groupe SNCF, comme actionnaire ou comme opérateur, pourra tout à fait prendre de nouvelles participations : l'histoire n'est pas du tout finie. Le secteur change beaucoup. Des gares de triage comme celles de Woippy ou de Miramas, dont il a été question lors d'autres auditions, sont très belles sur le plan de la technicité, de l'ingénierie que suppose le système par gravité, mais force est de constater qu'elles ne correspondent à ce qu'elles devraient être, surtout quand on les compare avec ce qui existe à l'étranger, notamment en Allemagne ou au Luxembourg. La différence de modernité par rapport à la gare intermodale de Bettembourg, par exemple, est flagrante. Or la performance s'en ressent également, sur le plan opérationnel comme sur le plan économique. Il convient d'adopter une vision de l'avenir enthousiaste et optimiste. L'évolution engagée en 2018 n'est que le début de l'histoire : elle a permis à la SNCF de repartir sur des bases saines, y compris sur le plan financier, et de se repositionner sur les marchés où elle est en concurrence avec d'autres opérateurs.

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