Je suis parfaitement d'accord avec l'idée selon laquelle, du point de vue du chargeur, le prix et la qualité de service – c'est-à-dire la robustesse de l'offre, la capacité à faire en sorte que le train soit à l'heure tous les jours – sont des critères décisifs pour la signature d'un contrat avec une entreprise ferroviaire.
L'exemple du Perpignan-Rungis est symptomatique. Tout le monde souhaitait le voir rouler à nouveau. Quand nous l'avons relancé, à la suite de la crise du covid, nous avons eu des discussions sur ces enjeux avec les chargeurs, les entreprises ferroviaires et les marchés d'intérêt national (MIN) de Rungis et de Perpignan. Au-delà du fait qu'il fallait faire repartir le train et, pour cela, consentir quelques aides à l'exploitation, la discussion a rapidement tourné autour de la manière dont cette ligne pourrait être compétitive par rapport à la route à moyen terme. En effet, le différentiel de prix pour le client était de l'ordre de 30 %. Le projet a donc entraîné la concentration de moyens importants au niveau du MIN de Rungis pour construire un terminal combiné. Celui-ci sera mis en service dans les prochains mois et permettra d'améliorer le transbordement des marchandises et donc d'accroître la compétitivité de la ligne.
De la même manière, des investissements importants doivent être consentis en faveur des autoroutes ferroviaires. Nous avons par exemple relancé la ligne entre Calais et Sète, avec un arrêt à Valenton qui permet d'irriguer assez largement, ensuite, l'est de l'Europe via Bettembourg, Lausanne, etc. La liaison fonctionne bien. Il est souhaitable de poursuivre dans ce sens. Cela suppose de progresser en matière de mise au gabarit – je pense aux fameux gabarits P400. L'enjeu est important. Les investissements sont structurels, ils se chiffrent en centaines de millions d'euros, mais ils sont indispensables pour que les autoroutes ferroviaires soient opérationnelles : par nature, elles ont vocation à transporter sur des distances longues des produits soit lourds soit périssables, en tout cas pour lesquels le mode ferroviaire massif est souhaitable.
Ce sont des investissements de temps long, qui permettront de garantir durablement la compétitivité du rail par rapport à la route. À cet égard, je distingue, d'une part, les dispositifs ponctuels d'aide, que l'on peut consentir pour satisfaire le client sur le moment, relancer la machine et surtout faire en sorte que ce mode de transport soit immédiatement compétitif, et, d'autre part, les actions qui doivent être entreprises sur le temps long pour stabiliser la compétitivité.
Le choix qui a été fait, à ce stade, est d'aider les chargeurs, les clients et les entreprises ferroviaires, au gré d'aides ciblées, en fonction des marchés, pour les rendre compétitifs, plutôt que de renchérir le coût de la route. Toutefois, je l'indique au passage, celui-ci augmentera. Les règles qui ont été prises compte tenu de l'impératif de la transition écologique poseront certainement des difficultés aux entreprises opérant le transport routier de marchandises, même si l'on équipe les camions de batteries électriques ou de piles à hydrogène : il y aura un signal prix. En tout état de cause, la décarbonation de la route permettra de renforcer la compétitivité du fret ferroviaire, car elle induira des coûts.
Je ne parlais pas tant des dysfonctionnements du marché européen que de l'immaturité du marché français. En effet, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, le système du rail n'est pas bien interconnecté aux ports et au mode fluvial. De ce fait, le transport de fret ferroviaire fonctionne de manière sous-optimale. Qui plus est, à l'exception de Fret SNCF, les acteurs du secteur sont plutôt petits, peu ou pas rentables. Ainsi, non seulement le système fonctionne mal, mais en plus ses acteurs sont fragiles. Voilà pourquoi je qualifiais notre système de dysfonctionnel. On observe moins ce genre de problèmes dans les autres pays européens – je pense, par exemple, à la Suisse et à l'Autriche, même si la situation de ces pays est différente de la nôtre, soit parce que le système de transport de marchandises y a été construit de façon totalement imbriquée, soit parce que l'ordre des priorités entre le fret et les voyageurs est un peu différent. Dans certains pays, le fret est systématiquement prioritaire par rapport au transport des voyageurs. Historiquement, ce n'est pas le choix qu'a fait la France. Les difficultés du fret tiennent aussi au fait que nous avons privilégié pendant de nombreuses années le développement du trafic de passagers, notamment au moyen des lignes à grande vitesse. Le réseau s'est dégradé et l'on se retrouve à faire beaucoup de travaux la nuit, ce qui, par nature, obère la possibilité de faire circuler des trains de fret. Nous finirons par voir le bout de ces difficultés, car les travaux s'achèveront. Quoi qu'il en soit, pour toutes ces raisons, le marché français dysfonctionne assez singulièrement par rapport aux autres marchés européens.