Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du jeudi 14 septembre 2023 à 10h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre :

Il est bon, en politique, d'avoir les idées claires et de faire preuve de constance et de cohérence. En l'occurrence, je n'ai pas du tout changé d'avis à propos des écrits que vous citiez. Je peux tout à fait les commenter si vous le souhaitez, à l'oral ou à l'écrit.

Nous avons désormais beaucoup de recul en ce qui concerne l'ouverture à la concurrence dans les transports : cela fait quasiment trente ans que nous pouvons voir la concurrence s'exercer de façon plus ou moins heureuse sur des marchés très différents dans les domaines du fret – international et domestique – et du transport de passagers. Cela nous permet de porter un regard critique sur le processus. Je le dis tout en ayant à l'esprit le fait que nous avons organisé, à travers la loi d'orientation des mobilités (LOM), un nouveau calendrier pour l'ouverture à la concurrence d'autres services – l'horizon est assez lointain : 2033 ou 2039, par exemple, pour certains services dans la région Île-de-France. Il est possible d'observer ce qu'ont fait nos voisins et amis européens, notamment les Allemands et les Britanniques, dont les systèmes de transport sont d'ailleurs très différents.

Ce recul permet d'avoir une vision du fonctionnement des différents marchés qui ne soit pas unidimensionnelle. On peut ainsi considérer que, sur certains marchés, par exemple la grande vitesse et le réseau TER, la concurrence peut s'exprimer dans de bonnes conditions, de façon régulée. L'allocation des premiers lots de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) a montré que l'ouverture à la concurrence pouvait permettre une augmentation du nombre de trains – je pense, notamment, à l'étoile de Marseille, ou au trafic entre Marseille et Nice. Or l'objectif est bien de faire en sorte que davantage de passagers empruntent le mode ferroviaire, qui est par nature écologiquement vertueux. Dans un cadre comme celui-là, une concurrence ordonnée et régulée est plutôt une bonne chose pour le système ferroviaire. À l'inverse, certains dysfonctionnements méritent d'être pointés. C'est le cas pour le fret ferroviaire français. En l'espèce, le dysfonctionnement n'est pas lié uniquement au contexte concurrentiel : il tient pour une large part à des facteurs exogènes, tels que la désindustrialisation du pays et la politique globale qui a été menée en matière d'infrastructures de transport. Cela n'est pas lié stricto sensu au cadre normatif dans lequel sont opérés les services ferroviaires.

Il faudra continuer à se demander s'il est souhaitable, à moyen et long termes, d'ouvrir certains segments à la concurrence. La question mérite d'être posée s'agissant des RER A et B, où le trafic est hyperdense. Je le dis tout en sachant que nous en avons fait adopter le principe par le Parlement. Il faut savoir faire preuve d'autocritique.

Au bout de trente ans, on est en mesure de faire la part des choses : il y a les segments où la concurrence dans le secteur des transports fonctionne bien et ceux où c'est moins le cas, que ce soit lié aux normes ou aux caractéristiques de marchés locaux. Il ne me semble pas infondé d'adopter une approche marché par marché, voire sous-marché par sous-marché. Vous parliez d'apporter des réponses à des « segments de marché structurellement déficitaires ». C'est exactement ce que nous avons cherché à faire : nous avons instauré des aides pour le wagon isolé – vecteur parfaitement déficitaire, même quand il n'est pas public – sur certains segments de marché, de manière à restaurer la compétitivité de ce mode de transport, car nous pensions qu'il y allait de l'intérêt général, pour des raisons de souveraineté et de résilience.

En ce qui concerne la nature juridique de la SNCF, je ne souscris pas à votre analyse. Le passage du statut d'EPIC à celui de société anonyme – à capitaux 100 % publics – a donné davantage d'autonomie à la SNCF, et Jean-Pierre Farandou, son président, incarne très bien cette nouvelle gouvernance. Par ailleurs, je suis convaincu que le changement de nature juridique n'a pas eu le moindre impact sur la façon dont Mme Vestager a instruit les plaintes et sur sa décision d'ouvrir une procédure d'infraction contre Fret SNCF. Elle voulait comprendre comment s'était opérée la péréquation, quels prêts le groupe SNCF avait accordés à sa filiale fret, et dans quelle mesure les réformes de 2007, 2019 et 2020 apportaient une réponse structurelle au fonctionnement de la maison, amélioraient le service en matière de fret ferroviaire et permettaient ainsi de concourir aux objectifs de décarbonation du secteur des transports. La transformation de l'EPIC en société anonyme n'a donc pas été le fait générateur de l'ouverture de la procédure d'infraction à l'égard de Fret SNCF.

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