Chaque année, 136 milliards de vidéos pornographiques sont visionnées dans le monde. En France, un mineur sur trois, soit 2,3 millions d'enfants, regarde du porno au moins une fois par mois pendant plus de cinquante minutes, une proportion à peine plus faible que chez les adultes qui sont 37 % à en consommer.
Ce n'est pas tout. Depuis 2017, le nombre de mineurs qui consomment du porno ne cesse d'augmenter : on en dénombre 600 000 de plus en cinq ans. Ils sont aussi de plus en plus jeunes : 51 % des garçons de 12 à13 ans et 21 % des garçons de 10 à 11 ans regardent des sites pornographiques chaque mois.
Ces chiffres sont glaçants car ils attestent aussi que la santé mentale, sociale et sexuelle et même la capacité à aimer de nos enfants sont profondément abîmées. Les dégâts risquent d'être de plus en plus importants puisque, actuellement, 90 % des vidéos en ligne contiennent des violences verbales, physiques et sexuelles, quand ce ne sont pas des actes de barbarie, des viols ou des incitations à l'inceste.
Pour protéger nos enfants de la pornographie, le Gouvernement a choisi l'Arcom qui a le pouvoir d'ordonner, sans décision judiciaire, le blocage des sites pornographiques qui ne vérifient pas l'âge de leurs visiteurs – pour plus d'efficacité, nous dites-vous. Nous devrions donc être rassurés, satisfaits même.
Et pourtant ! Ce n'est ni plus ni moins que le juge, gardien de notre droit et de nos libertés, qui est mis sur le banc de touche par le Gouvernement. Quelle claque ! Quelle irresponsabilité aussi car, en le contournant, ce sont ses prérogatives que nous sous-traiterons. Triste aveu d'impuissance de l'État qui se refuse ainsi à donner de véritables moyens à notre justice pour qu'elle puisse accomplir ses missions. Vous préférez confier celles-ci à un autre, assez peu efficace il faut bien l'avouer puisque, depuis 2020, moins de dix sites ont été mis en demeure par l'Arcom, sans résultat concret.
Pour ma part, je crois urgent de lutter concrètement contre la pornographie chez les mineurs. La première mesure à prendre devrait être de rendre payants l'ensemble des sites et plateformes délivrant des contenus pornographiques. Cette mesure simple se doublerait d'une fermeture automatique dès lors que cette condition n'est pas respectée. Les fournisseurs d'accès à internet qui ne fermeraient pas les sites gratuits ainsi que les plateformes et sites qui diffusent librement du porno seraient donc immédiatement sanctionnés. Bref, il faut se donner les moyens d'agir car il y a urgence pour nos enfants.
L'urgence ne doit cependant pas servir de prétexte à l'acceptation insidieuse d'une identité numérique qui, in fine, pourrait permettre de contrôler chacun d'entre nous sur internet. Le Gouvernement souhaite d'ailleurs que 80 % des Français soient détenteurs d'une identité numérique d'ici à 2027 et près de 100 % à l'horizon 2030. Ces objectifs sont inquiétants si cette identité numérique administrative n'est pas clairement dissociée de l'identité numérique qui nous est attribuée au quotidien pour naviguer sur la toile. Car si, aujourd'hui, la cible est la pornographie, pourquoi ne pas s'attaquer, demain, à l'alcool ou à l'accès aux courses en ligne ?
Tout aussi inquiétant, la liberté d'expression semble être attaquée avec le retour – si l'on peut dire – de la loi Avia à l'article 5. Cela nous laisse dubitatif puisque la quasi-intégralité de ce texte avait été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en juin 2020. Chassez la censure, elle revient au galop ! Cette censure pourrait se manifester par la création d'une peine complémentaire visant à bannir des réseaux sociaux pendant six mois à un an une personne condamnée pour certains délits.
Si je partage naturellement avec vous la volonté de neutraliser les internautes condamnés pour pédopornographie, proxénétisme, apologie du terrorisme ou harcèlement sexuel, je m'interroge sur les éventuelles « manipulations de l'information » dont vous parlez qui ne sont pas clairement identifiées mais qui pourraient être censurées.
Autant de dangers que ce texte fourre-tout ne parvient pas à neutraliser et qui interrogent sur sa pertinence. Alors que certaines dispositions comme la mise en place d'un filtre de cybersécurité anti-arnaque à destination du grand public ou la création d'une base qui rassemblera l'ensemble des sites malveillants identifiés et signalés par les victimes aux autorités administratives vont dans le bon sens, nombre de mesures prévues dans ce projet de loi montrent que le fonctionnement d'internet vous est en partie étranger – avec, pour conséquence, des dérives possibles en matière de liberté d'expression.