Le débat est important et le sujet difficile, à la fois social, politique, technique et juridique. La position du groupe Renaissance est : « Non à l'anonymat, oui au pseudonymat. » Nous sommes presque unanimes à dénoncer la situation, en particulier l'intensité du harcèlement sur les réseaux sociaux, qui provoque notamment du harcèlement scolaire – nous avons évoqué les cas de Lindsay, de Marie, de Lucas et d'autres. Le racisme, la misogynie, le sexisme, la LGBTphobie, l'antisémitisme, l'islamophobie et la violence en général ont atteint un niveau considérable, bien supérieur à celui qu'on leur connaît dans le monde physique. Nous cherchons la cause. Je suis convaincu que nous ne sommes pas tous devenus fous, mais que l'impression d'anonymat crée un sentiment d'impunité qui fait tomber les limites. Je dis cela en étant moi-même un adepte des réseaux sociaux. Depuis dix ou quinze ans, des experts comme John Suler, Arnaud Mercier et François Jost enrichissent la littérature scientifique consacrée au sujet ; ils ont analysé ce mécanisme, que tout le monde perçoit intuitivement, et défini des concepts, comme l'anonymat dissociatif.
Que faire ? Je ne veux pas réinventer le fil à couper le beurre, ni surtout changer notre cadre constitutionnel ou attenter aux libertés publiques. Nous pourrions transposer les règles du monde physique au monde numérique. Celui-ci existe depuis longtemps, mais nous ne vivons massivement sur les réseaux sociaux que depuis dix ans. Or dans le monde physique, le principe est le pseudonymat, pas l'anonymat.
Quand je me balade dans la rue, je ne suis pas obligé d'inscrire mon nom sur ma veste, et c'est heureux. Mais si la police me le demande, je dois décliner mon identité. Elle peut même m'emmener au poste et m'y garder quatre heures pour procéder à des vérifications d'identité. Face à l'autorité publique, je n'ai pas le droit à l'anonymat.
Quand je conduis ma voiture, j'ai un droit au pseudonymat – je crois que personne ne met son nom sur son véhicule – : la plaque d'immatriculation, qui permet à la puissance publique de m'identifier si je commets une infraction, est obligatoire.
Troisième exemple, j'ai le droit au pseudonymat de mon téléphone. Je peux me faire passer pour quelqu'un d'autre, tout en donnant mon numéro de téléphone. En revanche, je dois faire connaître mon identité à mon opérateur ; en cas d'actions illégales, la puissance publique en sera informée.
Il a fallu des siècles au législateur pour parvenir au niveau de sophistication juridique que nous connaissons ; nous ne ferons pas mieux en une semaine. Concrètement, qu'emporterait la transposition de cette règle – oui au pseudonymat, non à l'anonymat – dans le monde numérique ? Quand je crée un profil Facebook – je cite des exemples, je ne fais pas de publicité –, je dois évidemment avoir le droit au pseudonymat. Je dois aussi avoir le droit d'en créer dix, par exemple Paulo91, avec une photo de mon chat – s'il est d'accord. Je dois pouvoir exprimer toutes mes opinions sur les réseaux sociaux sous ce pseudonyme. En revanche, il n'y a aucune raison de m'accorder l'anonymat devant les autorités, si j'utilise mon compte Facebook pour commettre des actes répréhensibles, comme harceler une jeune fille qui se suicidera quelques semaines plus tard.
Je réponds par avance à certaines objections. Hier, M. Aurélien Taché soulignait à raison que les journalistes devaient pouvoir travailler. La règle s'applique déjà à eux. Ils ont le droit d'aller dans une entreprise ou une administration avec une caméra cachée, en se faisant passer pour quelqu'un, en utilisant de faux papiers. Nous en sommes ravis. Cependant, si un journaliste commet une infraction, il ne peut exciper de sa profession pour rester anonyme face à l'autorité publique. Évidemment, il doit pouvoir jouir sur les réseaux sociaux du même pseudonymat que dans le monde physique, y compris en créant de faux profils pour mener ses enquêtes. Nous ne voulons pas retirer ne serait-ce qu'un demi-chouïa de liberté publique.
Nous proposons d'agir en trois étapes, déclinées en sept amendements. La première consiste à se donner un objectif de moyen en décidant de développer l'identité numérique en France. Nous avons un plan France très haut débit ; nous devons avoir un plan France identité numérique. Le Gouvernement mène déjà des actions propices. Par exemple, dans trois départements, il sera possible à partir du 16 octobre de disposer d'un permis de conduire dématérialisé, que l'on pourra présenter en cas de contrôles routiers.
Deuxième étape, nous obligerons les plateformes de réseaux sociaux à proposer la création de comptes certifiés appartenant à une personne physique ou morale, à partir de 2025, pour les personnes volontaires. Je ne veux surtout pas que Facebook ait la copie des cartes d'identité de tous les Français – même si c'est le cas des opérateurs de télécommunication. Quand les utilisateurs voudront se certifier, Facebook se connectera à France Identité, qui transmettra l'assurance que la connexion provient d'une personne physique, et un code chiffré, que les autorités seules pourront déchiffrer, dans l'unique cas où l'auteur du profil commettrait des actes répréhensibles, comme c'est le cas avec les plaques d'immatriculation. Facebook n'aura aucunement accès à des informations sur l'identité de la personne.
Ensuite, en 2027, il ne sera plus possible d'avoir des comptes qui ne sont pas certifiés, soit au nom d'une personne physique, soit à celui d'une personne morale – comme les voitures doivent avoir une plaque d'immatriculation.
Sur les réseaux sociaux, on profite de la liberté d'expression mais aussi de celle de s'informer. Nous prévoyons donc des exceptions pour les comptes « ayant une portée limitée », c'est-à-dire ressemblant à une messagerie privée : votre compte a moins de 100 amis, qui sont seuls à voir ce que vous écrivez sur votre mur, et qui ne permet d'écrire que sur le mur de vos amis. Cela relève alors du domaine du privé : c'est comme si vous étiez chez vous ou que vous discutiez avec vos amis au bar PMU.