Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du mardi 19 septembre 2023 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique

Jean-Noël Barrot, ministre délégué :

Madame Parmentier, l'addiction naît de l'exposition, celle-ci étant aujourd'hui massive. Or, en Australie, un tiers des enfants de 10 à 13 ans exposés à la pornographie le sont de manière accidentelle. Nous débattrons d'éventuels contournements de la vérification d'âge, mais sa seule existence – si les chiffres sont comparables en France à ceux de l'Australie – permettrait de soustraire un tiers des enfants aujourd'hui concernés au déferlement des images pornographiques en ligne.

Monsieur Ballard, le projet de loi prévoit en effet un recours suspensif, à la demande de la Cnil. À vrai dire, on imagine qu'un acteur qui formule un recours contre un filtrage est plutôt bienveillant ; il paraît alors naturel de suspendre le blocage. Un acteur malveillant ne se signalerait pas de cette façon.

S'agissant des articles 10 bis A et 10 bis, j'ai exposé les raisons pour lesquelles il nous paraîtrait contre-productif d'aller trop vite dans l'extension de l'obligation. Mais nous partageons le même objectif. Sur l'article 10 bis, la rapporteure fera des propositions qui tiendront compte de vos remarques.

Monsieur Kerbrat, ce sont bien des questions techniques ! Il ne faut pas verser dans le solutionnisme : ce texte ne résoudra pas tout, certes, mais il est nécessaire d'aborder des questions techniques, par exemple à propos du référentiel pour la vérification de l'âge.

Certains amendements voudraient encadrer la création du référentiel par l'Arcom. Nous en débattrons, mais je souhaite qu'une palette d'outils soit disponible, dont au moins une solution qui repose sur le principe du tiers de confiance. C'est le double anonymat : le service ne sait pas qui est la personne qui accède, et le prestataire qui fournit la preuve de majorité ne sait pas à quoi cette preuve a servi. Ces solutions doivent toutes être suffisamment fiables et robustes. Ce qui a raté en Australie, c'est qu'elles n'existaient pas encore ; or nous avons veillé à inviter des entreprises françaises à se lancer dans des expérimentations. Je ne dis pas que cela marche à plein tube pour le moment, mais nous avons une liste d'entreprises qui mènent des expériences avec une liste de sites pornos. Je suis confiant dans l'idée que ce travail permettra de définir un modèle d'affaire qui permettra à ces solutions d'être soutenables.

Monsieur Boumertit, s'agissant du filtre anti-arnaque, la liste des délits visés est très limitative. D'autres pays démocratiques – la Belgique, le Royaume-Uni, l'Espagne – ont adopté ce type de disposition. Nous avons prévu de nombreuses protections et nous atteignons le bon équilibre entre efficacité et préservation des libertés.

Madame Folest, vous avez raison d'insister sur la responsabilité des parents, question qui se pose plus largement dans l'espace numérique pour le traitement de ces fléaux que sont le harcèlement et le cyberharcèlement. Ne comptez pas sur moi, toutefois, pour annoncer par avance les mesures que présentera la Première ministre et, avec d'elle, le ministre de l'éducation nationale, moi-même et peut-être d'autres encore, dans le cadre du plan de lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement. L'esprit que nous devons cultiver est celui qui a présidé à l'adoption de la loi Studer et de la loi Marcangeli, qui visent à activer la responsabilité parentale, respectivement par le renforcement du contrôle parental sur les appareils et par le recueil du consentement parental pour l'inscription sur les réseaux sociaux.

Monsieur Esquenet-Goxes, je mesure l'inquiétude qu'a soulevée la nouvelle rédaction du dispositif de l'article 1er et de l'article 2 par rapport aux articles 22 et 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Comme j'ai pu l'évoquer avec certains d'entre vous, je suis preneur d'une rédaction conjuguant un objectif de résultat et un objectif de moyens, mais nous n'en avons jusqu'à présent pas trouvé qui paraisse assez solide au ministère de la justice. S'agissant d'articles qui seront âprement contestés par les sites pornographiques que nous entendons réguler, nous devons être parfaitement vigilants et, à ce stade, nous ne serons pas en mesure d'avancer sur ce point. Je reste cependant ouvert à une rédaction qui nous permette, sans affaiblir le dispositif, de viser à la fois les moyens et le résultat.

Madame Chassaniol, vous m'avez interrogé sur les autres moyens déployés par le Gouvernement pour sécuriser l'espace numérique – qui, de fait, ne se limitent pas aux règles exposées dans ce texte. Ainsi, pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur, et comme je l'ai indiqué précédemment, il sera désormais possible de porter plainte derrière son écran par visioconférence grâce à la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) du 24 janvier 2023. Les victimes de harcèlement pourront être accompagnées d'un avocat lors du dépôt de plainte en ligne. En 2023, l'application « Ma sécurité » permettra de déposer une plainte en ligne et, à terme, d'en suivre le traitement. Les forces de sécurité intérieure, quant à elles, recevront des kits de formation pour le recueil des plaintes pour cyberviolence grâce au plan pour l'égalité entre les femmes et les hommes présenté par Elisabeth Borne et Isabelle Rome le 8 mars dernier.

Quant à la justice, ses moyens augmenteront dans des proportions historiques dans les prochaines semaines, avec notamment le recrutement de 10 000 personnels, magistrats et greffiers, qui permettra évidemment d'instruire les procédures qui seront déclenchées au titre des violences en ligne et du harcèlement.

Madame Calvez, le règlement DSA prévoit une obligation d'audit des algorithmes et de partage de leurs données avec les chercheurs, qui pourront mettre au jour certaines défaillances de ces systèmes. À cela s'ajoutent notamment les rapports annuels de transparence que les plateformes remettront à la Commission européenne et aux coordinateurs des services numériques, et l'interdiction des dark patterns. En outre, le règlement sur l'intelligence artificielle prévoit une transparence accrue des algorithmes d'intelligence artificielle pour les systèmes à haut risque, c'est-à-dire lorsque l'intelligence artificielle est utilisée pour des systèmes susceptibles d'entraîner des risques notamment pour la vie humaine.

Nous ouvrirons également, avec les états généraux de l'information, un débat sur ces questions. La question se pose de savoir si le DSA et le règlement sur l'intelligence artificielle sont allés assez loin, et la commission qui sera installée dans moins d'un an devra précisément avancer dans ce domaine.

Madame Colboc, dans quelques minutes, la Première ministre présidera la réunion de lancement du comité stratégique pour l'intelligence artificielle, qui abordera différents chantiers, dont celui de la protection du droit d'auteur et, d'une manière générale, des ayants droit dans le domaine culturel, pour nous proposer, je l'espère, dans un élan conjoint avec les états généraux de l'information, des pistes de régulation.

Monsieur Latombe, la Commission européenne n'attendrait pas des semaines pour nous écrire – comme elle le fait du reste régulièrement – si nous prenions des dispositions qu'elle jugerait empiéter sur l'empire du DSA ou sur l'empire précédent, qui était celui de la directive sur le commerce électronique. Ces démarches fragilisent énormément la France, car les acteurs régulés peuvent alors se prévaloir d'une opposition de la Commission aux dispositions votées par le Parlement français pour les contester devant les juridictions européennes.

Madame Yadan, bien que je ne connaisse pas encore l'avis du rapporteur général, il me semble que l'extension de l'article 4 B aux violences sexuelles est une ouverture raisonnable et que nous pouvons cheminer dans cette direction.

Monsieur Gosselin, votre question, fondamentale, se pose tant au niveau français qu'au niveau européen. C'est certes une bonne chose qu'il existe une commission chargée de la régulation des plateformes et des contrôleurs d'accès, mais le texte prévoit des sanctions très lourdes et il ne faut pas croire que l'on puisse s'improviser régulateur.

Des inquiétudes s'exprimaient initialement, mais la Commission européenne a recruté au moins cent personnes pour la bonne application du DSA et les effectifs de l'Arcom, qui avaient été augmentés de quinze équivalents temps plein (ETP) dans la loi de finances de 2023, seront encore relevés de dix ETP supplémentaires dans le projet de loi de finances pour 2024. Nous avons bon espoir que ces vingt-cinq personnes pourront accomplir ces nouvelles missions dans les meilleures conditions.

Monsieur Gaultier, les amendements visant les casinos en ligne ont été jugés irrecevables successivement au Sénat et à l'Assemblée nationale. Traditionnellement, en effet, la régulation de ce secteur est confiée à la direction du budget, et donc au ministre des comptes publics, avec lequel je n'ai pas pris le temps d'évoquer ces amendements, du fait de leur irrecevabilité. Le casino physique et les Jonum me semblent être des activités assez différentes pour que les frottements entre elles ne soient pas très nombreux, mais il s'agit toutefois d'une expérimentation et, si les frottements sont trop nombreux, il faudra en tirer les conclusions en termes de régulation.

Au demeurant, le fait que cette proposition que vous-même et d'autres avez portée ait été jugée irrecevable ne justifie pas que vous l'abandonniez, ne serait-ce qu'en raison de sa pertinence en termes de protection des mineurs contre les addictions. L'existence d'une pratique du jeu en ligne qui contourne les interdictions édictées au niveau national devra en effet nous poser question.

Madame Bourouaha, j'examinerai l'amendement irrecevable que vous évoquez pour en reparler plus précisément avec vous et, le cas échéant, identifier un vecteur pour l'avenir.

Enfin, monsieur Rebeyrotte, je ne doute pas que les articles 11 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que vous avez cités, éclaireront nos débats.

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