Il ne faut pas regarder le projet de loi comme un résumé de toute la politique de protection des Français sur internet. Ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est essentiellement de la responsabilité des auteurs et des plateformes. Il y a évidemment beaucoup d'autres acteurs impliqués dans l'apaisement de l'espace numérique, à commencer par l'éducation nationale. Même si cela ne figure pas dans le texte, nous généralisons cette année le passeport numérique en sixième, qui est un module de sensibilisation aux risques et aux gestes à adopter en ligne pour se prémunir contre les violences et les dangers auxquels on peut être exposé. Cette expérience a commencé au mois de novembre 2022. Elle a été concluante et se généralise cette année. Elle sera obligatoire dès la rentrée 2024 pour tous les élèves de sixième.
Le ministère de l'intérieur est également impliqué pour le traitement des plaintes. La loi de programmation du ministère de l'intérieur prévoit plusieurs possibilités ainsi que des moyens supplémentaires pour que ces plaintes soient déposées plus facilement et traitées plus efficacement. De même, ce texte ne parle ni du budget ni de l'organisation de la justice, qui elle aussi a toute sa part à prendre. La loi de programmation de la justice apportera également des solutions. Je suis d'accord avec vous, pris isolément, ce texte ne peut rien résoudre ; il faut le prendre avec l'ensemble des autres politiques publiques qui sont menées et ont des effets sur la protection des Français les plus vulnérables en ligne.
Vous dénoncez l'aspect liberticide du texte. L'Arcom sera chargée de contrôler que les sites pornographiques disposent d'un système, assorti de garanties, capable de vérifier l'âge des visiteurs ; elle pourra ordonner le blocage et le déréférencement des sites. Certes, nous confions à une autorité administrative indépendante un pouvoir qui appartenait au juge. Néanmoins, cette autorité n'aura que cette vérification technique à effectuer ; il ne s'agit pas de déposséder le juge de ses prérogatives : en cas de condamnation éventuelle, nécessitant une interprétation, il faudra en référer à un juge impartial et indépendant. En effet, le Conseil constitutionnel a confirmé qu'il était possible de transférer une décision du juge à une autorité administrative indépendante, avec toutes les garanties nécessaires, dans le seul cas d'un fonctionnement manifestement illicite.
Vous accusez le texte d'être mensonger et vous m'entreprenez au sujet des vérifications techniques. Nous avons entendu lors des auditions que l'Australie et le Royaume-Uni avaient renoncé à instaurer un système de contrôle. Ce n'est pas une raison suffisante pour que la France, à la pointe dans ce domaine, renonce à son tour. Pensant qu'il ne suffirait pas, pour vous convaincre, d'affirmer que nous pouvons réussir là où les autres ont échoué, j'ai fait venir hier dans mon bureau la commissaire chargée de défendre l'initiative australienne pour la protection de l'enfance et lui ai demandé pourquoi l'Australie et le Royaume-Uni avaient échoué. En Australie, la commission eSafety a longuement travaillé sur les solutions de vérification d'âge ; elle a proposé au gouvernement de financer une expérimentation, pendant qu'elle élaborerait un référentiel. Or le gouvernement a refusé, provoquant les gros titres que vous avez lus, à cause de difficultés à rendre acceptables pour la société des systèmes de vérification susceptibles de porter atteinte à la vie privée – le pays a récemment connu des offenses dans ce domaine. En revanche, le gouvernement a demandé à la commissaire de définir un référentiel, ce qu'elle fera pour 2024. Le Royaume-Uni, quant à lui, a adopté une législation en 2018 ; une expérimentation a été lancée, notamment pour vérifier l'âge lors de l'accès aux sites pornographiques. De telles mesures étaient à même de chagriner certains ; les élections arrivant, M. Boris Johnson a fait cesser l'expérimentation, espérant peut-être en tirer un profit politique. Aujourd'hui, l'examen de l' Online Safety Bill touche à sa fin ; il n'est pas très éloigné de la législation européenne formée par le DSA et le DMA, ni du présent texte, qui vise également à définir pour 2024 des référentiels dans le domaine de la vérification de l'âge. Notre objectif est d'être les premiers à y parvenir – les autres nous suivront.