Merci du travail accompli pour préparer les débats. Les nombreux amendements déposés témoignent de l'intérêt des députés pour les questions qui nous occupent et de leur engagement.
Le texte, qui peut donner à première vue une impression de profusion, a pour seul fil rouge la protection des Français dans l'espace numérique. Tous les Français sont concernés, en particulier les plus vulnérables, les plus modestes, les plus jeunes comme les plus âgés et les plus éloignés du numérique. L'insécurité que vivent nos concitoyens sur internet sape leur confiance dans le numérique au moment où nous investissons massivement pour que la France tienne dans ce secteur son rang de grande nation.
Le projet de loi s'est formé à partir de trois affluents. Premièrement, deux règlements européens défendus par la France et adoptés en 2022 à la quasi-unanimité des groupes politiques du Parlement européen. Ils mettent fin à vingt années pendant lesquelles les géants du numérique se retranchaient derrière l'éclatement de nos législations nationales pour refuser toute responsabilité.
Le premier est le règlement sur les services numériques, qui fait entrer les grandes plateformes de réseaux sociaux et de places de marché dans l'ère de la responsabilité en leur imposant des obligations nouvelles : mettre des processus de signalement à la disposition des utilisateurs ; modérer et retirer les contenus illicites qui leur sont signalés ; partager leurs données avec les chercheurs et faire auditer leurs algorithmes ; proposer à leurs utilisateurs des algorithmes qui ne dépendent pas de l'historique de navigation ou des données personnelles. Certaines de ces évolutions se sont déjà matérialisées, comme on peut le voir sur les principaux réseaux sociaux.
Une obligation absolument nouvelle, qui n'existait dans aucune législation nationale, consiste pour les plateformes à analyser et à corriger le risque systémique qu'elles font peser sur la santé des utilisateurs – en particulier des jeunes et des enfants –, le discours civique – on pense à leur rôle dans la propagation de la désinformation – et la sécurité publique. Jusqu'à présent, seule la responsabilité des auteurs des messages ou des vendeurs des produits pouvait être engagée et les plateformes n'étaient considérées que comme des entrepôts, dénués de toute responsabilité quant à la manière dont les messages ou les produits y étaient entreposés.
Le second règlement, sur les marchés numériques, met fin à certaines pratiques commerciales déloyales par lesquelles les géants du numérique ont verrouillé des marchés, d'où deux conséquences délétères : tenir nos administrations, nos entreprises et nos collectivités dans un lien de dépendance ; fermer des marchés aux entreprises françaises et européennes. Ce règlement fixe vingt-six obligations ou interdictions nouvelles qui s'appliqueront quel que soit le lieu où l'entreprise est installée. Deux exemples : l'interdiction de commercialiser des ordiphones où sont préinstallés des navigateurs, des moteurs de recherche ou des assistants personnels pour empêcher la concurrence ; l'obligation faite à des messageries de communiquer avec d'autres messageries sans que le destinataire du message ait à télécharger celles-ci.
Le deuxième affluent, ce sont les travaux menés à l'Assemblée nationale et au Sénat ces six dernières années. Sans prétendre être exhaustif, je salue ceux de Guillaume Gouffier Valente et Bérangère Couillard sur l'exposition des mineurs à la pornographie, de Bruno Studer sur le contrôle parental et de Caroline Janvier, de Philippe Latombe sur la souveraineté numérique, d'Erwan Balanant et d'autres sur le harcèlement, enfin les textes défendus au printemps par Stéphane Vojetta et Arthur Delaporte au sujet des influenceurs, et par Laurent Marcangeli concernant la protection des mineurs en ligne.
Le troisième affluent se compose des consultations menées sous l'égide du Conseil national de la refondation. Dans ce cadre, nous avons notamment auditionné les créatrices de contenus en ligne au sujet de leurs difficultés avec les plateformes, qui ont conduit à l'inscription dans le texte de différentes mesures.
Le texte comporte des protections nouvelles pour nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et collectivités et pour la démocratie.
Nos concitoyens bénéficieront du filtre anti-arnaque, rempart contre les campagnes de SMS frauduleux – 18 millions de Français ont été victimes de cybermalveillance l'année dernière. Les conséquences peuvent en être terribles, notamment pour les plus vulnérables, entraînés dans la spirale infernale de l'usurpation d'identité – plusieurs centaines de milliers de cas chaque année. Ce dispositif simple et gratuit filtrera préventivement les adresses des sites malveillants : ainsi, on coupera le mal à la racine et on découragera les pirates qui cherchent à constituer des fichiers à des fins de cybercriminalité ou d'usurpation d'identité.
Deuxième mesure : la peine complémentaire de bannissement entre les mains du juge pour les personnes condamnées pour des faits de harcèlement ou de cyberharcèlement. Il s'agit de prévenir la récidive en empêchant les auteurs de violences en ligne de se réinscrire afin de les priver de leur notoriété. Le Sénat a étendu le champ de cette mesure et l'a complétée par une peine d'outrage en ligne, dont nous allons débattre pour que le dispositif soit à la fois efficace et conforme aux limites posées par notre Constitution.
Le troisième élément de protection de nos concitoyens est un régime nouveau encadrant les jeux à objet numérique monétisable (Jonum), fondés sur les chaînes de blocs, intermédiaires entre les jeux vidéo et les jeux d'argent et de hasard. Le Gouvernement s'attendait à ce que le Sénat lui refuse l'habilitation à légiférer par ordonnance qu'il demandait à ce sujet, mais la chambre haute a aussi voulu inscrire dans le texte la définition de ces jeux, laissant à l'Assemblée nationale le soin de préciser le cadre de leur régulation. Je salue le travail acharné fourni par les rapporteurs pour trouver, comme par le passé sur des sujets connexes, le bon équilibre entre la flexibilité nécessaire pour maintenir l'innovation en France, d'une part, et, d'autre part, la protection des mineurs et la lutte contre les addictions, contre le financement du terrorisme et contre le blanchiment.
J'en viens à la protection de nos enfants. Le pouvoir est donné à l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de faire bloquer et déréférencer les sites pornographiques qui ne vérifieront pas sérieusement l'âge de leurs utilisateurs. La loi du 30 juillet 2020, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, obligeait déjà à vérifier l'âge, mais il nous faut aller plus loin, car ce sont deux millions d'enfants qui sont exposés chaque mois à des contenus pornographiques – à 12 ans, un garçon sur deux –, et les effets en sont délétères pour leur santé et leur développement affectif. Nous reviendrons sur les modalités de cette vérification.
En outre, une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende sera encourue par les hébergeurs n'ayant pas retiré sous vingt-quatre heures les contenus pédopornographiques qui leur ont été signalés par les autorités. Ils ont déjà l'obligation de le faire, mais cette obligation n'était pas assortie d'une sanction, à la différence de ce qui vaut pour les contenus terroristes.
En ce qui concerne la protection des entreprises et des collectivités, citons l'encadrement des avoirs commerciaux, la portabilité et l'interdiction des frais de transfert dans l'infonuagique – ou cloud. L'hébergement en ligne de nos données est concentré entre les mains de trois acteurs qui se sont emparés, grâce à ce que l'on pourrait qualifier de pratiques commerciales déloyales, de 70 % du marché et tiennent ainsi administrations, collectivités et entreprises dans leur dépendance. Les mesures que nous proposons anticipent sur un règlement européen qui a fait l'objet d'un accord entre le Parlement et le Conseil. Nous desserrons la contrainte pour libérer nos entreprises et, au passage, redonner de l'air et permettre à des entreprises françaises et européennes de ce secteur stratégique de reconquérir des parts de marché.
Est également pérennisée une expérimentation lancée il y a quelques années et associant cinq plateformes de location de meublés de tourisme et cinq collectivités pour centraliser le décompte des nuitées, qui ne doivent pas dépasser le nombre de 120 par an. Les collectivités n'auront ainsi qu'un seul interlocuteur et le décompte sera très simplifié. Cette mesure a été défendue par Olivia Grégoire.
Au chapitre de la protection de la démocratie par la lutte contre la désinformation figurent la mise en demeure puis le blocage que l'Arcom pourra ordonner à l'encontre des sites diffusant des médias frappés de sanctions internationales, comme RT France et Sputnik. La désinformation est un poison pour notre démocratie ; on l'a vu aux États-Unis, au Capitole, il y a quelques années. L'Union européenne a pris des sanctions, mais les médias visés ont continué à diffuser sur des sites hébergés très loin d'ici.
Lors de l'examen du texte au Sénat a été par ailleurs ajoutée dans le code pénal la définition des hypertrucages – deep fakes –, pour que la diffusion de ces derniers tombe sous le coup de sanctions lorsqu'elle a lieu sans le consentement de la personne visée et sans qu'il soit immédiatement apparent qu'il s'agit d'un hypertrucage.
Le Gouvernement est très ouvert à vos propositions, mais je respecterai deux lignes rouges. Premièrement, les limites que nous fixe notre Constitution en application de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lequel dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Ces dernières années, il est arrivé que le Conseil constitutionnel retoque sur ce fondement des mesures votées par le Parlement.
Deuxièmement, le respect du compromis trouvé au niveau européen. Les deux règlements que la France a obtenus mettent fin à vingt ans de dumping réglementaire de la part des géants du numérique, mais il s'agit d'un compromis : la France aurait sans doute voulu davantage. S'il est naturel d'espérer remédier à cette situation par le texte de loi, nous devons nous en tenir au périmètre de l'accord politique conclu, je le répète, à la quasi-unanimité au Parlement européen, sans quoi la Commission ne manquerait pas de considérer comme non conventionnelles les dispositions adoptées.
Je me réjouis de nos échanges à venir et je me tiens à votre disposition.