Votre rapport est d'une très grande qualité, qui vous honore ainsi que les structures auxquelles vous appartenez. Vous avez fait preuve d'une haute exigence intellectuelle et d'une grande rigueur : l'exposé synthétique n'en rend que partiellement compte, donc j'invite les membres de la commission à lire ce rapport.
Je me mets dans les pas du président : comme je l'avais écrit en 2014 à la fin de l'introduction de mon rapport Pesticides et agroécologie, les champs du possible, l'échec du plan Écophyto est une leçon pour les politiques publiques, car il représente l'archétype de l'incurie qui m'a incité à demander la création de cette commission d'enquête.
Je crains que vous ne bottiez en touche, mais puisque vous intervenez sous serment, pouvez-vous nous donner votre avis sur les raisons pour lesquelles votre rapport n'a pas été publié ? Le débat au Parlement que la publication du rapport aurait pu susciter en 2021 aurait pu déboucher sur le déploiement de solutions : nous aurions ainsi gagné quelques années par rapport à cette commission d'enquête. J'imagine que vous allez nous répondre que le choix de publier ou non le rapport ne relevait pas de votre autorité, mais vous avez sûrement un avis sur la question.
Vous avez rencontré de nombreux acteurs pour la rédaction de votre rapport, mais vous n'avez auditionné aucun contributeur du rapport de 2014 : je suis étonné de cet oubli, que je regrette car il vous a conduit à certaines incompréhensions. Je ne doute pas que Jean Boiffin, que vous devez estimer comme nous, aurait la même appréciation que moi. Une audition des auteurs du rapport de 2014 aurait permis de purger ces incompréhensions.
Le diagnostic et les préconisations du rapport de 2014 sont très proches des vôtres, par exemple sur les questions de la gouvernance, du délégué interministériel, de la recentralisation du commandement, de la cohérence, de la coordination, de l'efficacité de l'emploi des fonds publics et de l'augmentation des moyens : tous les éléments sont dans notre rapport, certes de manière moins approfondie.
Vous confondez le rapport ayant inspiré le plan Écophyto 2 et la réalisation de celui-ci ; or ce plan n'a pas été mis en œuvre : vous évoquez les 30 000 fermes engagées dans la transition vers l'agroécologie à bas niveau de produits phytosanitaires comme si elles existaient, mais tel n'est pas le cas – même les 3 000 fermes Dephy n'existent pas. Et ce plan date de dix ans ! Il n'a donc pas été mis en œuvre. Écophyto 1 est un échec et Écophyto 2 n'a pas été déployé.
Vous vous trompez également en présentant le plan Écophyto 2 comme une stratégie articulée en deux temps. Dans le premier, on tâcherait d'optimiser. On pourrait ainsi mieux travailler dans la ferme France avec un assolement, des pratiques, une économie, des filières, un droit européen et une PAC identiques, mais en produisant au bon moment, en utilisant les doses pertinentes, les technosolutions, etc. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la marge de progrès tourne autour de 20 % ; fixer un objectif à 25 % à atteindre en cinq ans est donc très ambitieux. Puis vous évoquez une seconde étape. Ce raisonnement est erroné : l'idée était bien de déployer sans attendre des réformes structurelles des filières, de la PAC et de la gouvernance pour atteindre une cible de diminution de l'utilisation des produits phytosanitaires de 50 % en dix ans, elle aussi très ambitieuse. Les premières actions permettent d'obtenir des résultats et ainsi de redonner le moral. Une action herbicide et insecticide bien ciblée et obéissant à une obligation réglementaire sur la sole de colza produit 10 % des solutions attendues, de façon certes autoritaire mais efficace et à même de donner confiance dans l'action publique. Or nous avons privilégié ce que Jean Boiffin qualifiait de « dispositif kafkaïen ».
S'agissant du continuum entre la recherche et le développement, votre rapport méprise le fait que le dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques comprenait une sanction financière, que la loi Egalim a supprimée, le pouvoir exécutif se rendant là coupable d'un véritable abus. Le seul dispositif allant au-delà de la simple incitation, expérimentation ou communication a ainsi été dévitalisé par décret. Il a été remplacé par une séparation de la vente et du conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, que vous présentez comme une bonne nouvelle mais dont un rapport parlementaire, rédigé par un ancien ministre de l'agriculture, souligne l'échec, reconnu par tous les acteurs.
Votre rapport pointe le manque d'indicateurs sur les risques et les effets dans les domaines de la biodiversité et de la santé humaine. Pouvez-vous nous expliciter la différence entre ces deux notions de risques et d'effets ? Vous affirmez par ailleurs que ceux-ci sont méconnus, comme les auditions que nous avons conduites jusqu'à présent l'ont montré. Dès lors, comment pouvons-nous élaborer des indicateurs dans des matières où nous en sommes encore au stade de la recherche ? Nous pressentons qu'il y a des dangers – dont l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a pointé l'existence –, mais nous ne les connaissons pas encore assez bien pour construire des indicateurs.
Les pays européens les plus productivistes et les plus conservateurs défendent l'option d'une diminution des risques liés aux produits phytosanitaires ; de son côté la France pense que c'est la baisse de l'usage des produits phytosanitaires qui réduira les risques. Mais quels sont les indicateurs pertinents pour mesurer cette évolution des usages ? Vous plaidez pour l'indicateur du Nodu, qui est actuellement stable alors que celui de la QSA diminue. À quoi, selon vous, cette baisse est-elle due et pourquoi faut-il rester attaché au Nodu ?
Vous dites que le plan Écophyto n'a pas suffisamment intégré la PAC et les régimes d'autorisation, mais ceux qui le déploient pilotent un dispositif de recherche et de développement et n'ont pas d'autorité sur la PAC ni sur les régimes d'autorisation, lesquels sont le principal moteur de retrait des molécules depuis vingt ans, notamment grâce à l'Anses. Votre délégué interministériel ne serait-il pas un superministre de l'écologie, de l'agriculture et de la santé ? Je comprends votre volonté de placer sous sa responsabilité tous les dispositifs de R&D, qu'ils soient incitatifs, réglementaires et financiers, mais lui demander de s'assurer de la cohérence avec la PAC relève d'une décision politique : je souhaiterais que nous discutions de cette question.