« Entre 2009 et 2014, ils m'ont pris pendant cinq ans en intérim. Je faisais dix-huit mois de mission, six mois de tiers-temps – ils appelaient comme ça une coupure –, et puis ils me reprenaient pour dix-huit mois. C'est comme ça pour à peu près tout le monde ici », témoigne David, cariste. Que se passe-t-il ? Eh bien, depuis vingt ans, le travail avec sa dignité a été transformé en bouts de boulot ! C'est le retour de la place de Grève où les ouvriers venaient chercher leurs petits contrats ! Le nombre de CDD de moins d'un mois a été multiplié par 2,5 en vingt ans. On a 1 million d'intérimaires en plus. L'État a accompagné ce mouvement avec la création de nouveaux statuts : après le CDD et l'intérim, on a inventé le CDI intérimaire, et maintenant l'autoentrepreneuriat.
L'État – il y va de sa responsabilité – devrait interdire ce fonctionnement où, tous les six mois, parce qu'on n'a pas le droit de refaire un contrat pour la même mission, l'entreprise en réinvente une, qui est faussement nouvelle. Plutôt que d'engager des inspecteurs du travail pour contrôler ces pratiques qui sont une réelle douleur pour les gens, vous proposez d'accorder un bonus aux employeurs qui ne procéderaient pas à cette rotation. De plus, par une inversion qui relève de l'indécence, vous affirmez que ce fonctionnement, qui s'est institutionnalisé dans les entreprises et dans la société, serait massivement non pas de la responsabilité des employeurs mais de celle des salariés.
La perversité est permanente. Lorsque j'ai commencé à travailler comme journaliste, l'intérimaire qui venait décharger un camion recevait un salaire pour la journée entière, puis il n'a plus été payé qu'une demi-journée et, désormais, s'il travaille une heure, il est payé une heure…