Quelle occasion manquée ! Bien que ce texte prévoie quelques améliorations pour les travailleurs handicapés, elles restent insuffisantes et n'ont pour objectif que de les rendre plus employables, sans prendre en compte les freins inhérents à leur situation, notamment en termes de mobilité. Ainsi, le Gouvernement pourra les intégrer au fichier de Pôle emploi et leur supprimer le RSA s'ils manquent aux obligations du contrat d'engagement.
Bien que ce texte prenne en compte les difficultés liées à la garde d'enfant, qui peut représenter un véritable frein à l'emploi, les réponses qu'il prévoit mettront en difficulté les communes, qui se verront imposer une compétence supplémentaire au titre d'autorités organisatrices de l'accueil du jeune enfant. Elles devront prendre à leur charge l'audit de l'offre de garde et en pallier les lacunes, dans un délai que les travaux en commission ont encore écourté. Comment le maire d'une commune de 9 000 habitants pourra-t-il estimer le nombre de places supplémentaires à créer, budgéter la construction d'un établissement recevant du public, le financer et le bâtir, avant le 1er janvier 2025 ?
Madame la ministre des solidarités, nous reconnaissons là votre méconnaissance du fonctionnement d'une commune et de ses contraintes administratives.
Pour ce qui est du cœur de ce texte, le Gouvernement a beau partir d'un constat juste, à savoir la saturation du territoire en organismes chargés de l'emploi à l'échelon local ou national, il ne propose aucune fusion. Pire, en regroupant dans une même gouvernance le préfet, les différents services déconcentrés, la commune, la communauté d'agglomération, les départements, les régions, les partenaires sociaux, il voue cette nouvelle hydre à neuf têtes à un immobilisme certain. On imagine déjà les réunions avec tout ce beau monde, les discussions interminables pour élaborer une stratégie commune et ne s'accorder finalement que sur la couleur du papier sur lequel ils écriront le compte rendu de leurs échanges et la date de la prochaine réunion, au cours de laquelle ils tomberont peut-être d'accord sur la couleur du ciel ! Ce nouveau-né, loin d'être le petit Hercule qu'on espérait, se verra lourdement handicapé dès la naissance.
D'autre part, le Gouvernement, à notre grande perplexité, semble vouloir regrouper dans un même fichier les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi et les allocataires du RSA. Si les premiers recherchent activement du travail, les seconds regroupent des profils bien différents les uns des autres, comme des mères au foyer, des proches aidants, des parents d'enfants atteints de maladie grave, des personnes handicapées en inaptitude professionnelle ou des étudiants. Ces personnes, alors qu'elles ne sont pas demandeurs d'emploi, seront contraintes de signer un contrat d'engagement de quinze heures d'activité, dans une marche forcée vers un emploi incompatible avec leur situation. Du reste, le terme d'activité n'est même pas clairement défini. Les hypothèses les plus farfelues peuvent se faire jour dès lors que l'on parle de « resociabilisation en prenant soin de soi » : doit-on comprendre qu'aller chez le coiffeur ou dans une salle de sport sera considéré comme une activité ?
Par ailleurs, le Gouvernement souhaite réintroduire le changement de nom de Pôle emploi en France Travail, que le Sénat avait supprimé. Le texte, déjà confus, en deviendrait incompréhensible pour les Français.
Quel gâchis ! Quelle perte de temps ! Quelle occasion manquée ! Ce projet de loi, attendu depuis des décennies par les professionnels du secteur, aurait pu être l'occasion de fusionner tous les acteurs publics de l'emploi et de renforcer le maillage territorial, en répartissant les agents dans des antennes rurales de proximité.
Savez-vous, monsieur le ministre, qu'il faut une demi-journée à un habitant de Neuilly-Saint-Front ou de Villers-Cotterêts pour se rendre à un rendez-vous de Pôle emploi ? Assurément non, sans quoi vous n'auriez pas proposé un texte aussi éloigné de la réalité. C'est là que se trouve le cœur du problème : dans la mobilité et l'accessibilité à l'emploi, pas dans le changement de nom ni de couleur du nouveau logo de France Travail.
Votre loi sera aussi floue qu'inefficace. Mais le plus choquant, ce qui révèle votre amateurisme, c'est que vous ne l'avez même pas budgété. En huit ans, votre Gouvernement a plongé le pays à plus de 3 200 milliards d'euros de déficit public. Vous prétendez disposer des 2,7 milliards nécessaires : où les trouverez-vous ? Qui paiera la note ?