Pour commencer, sachez qu'être privé d'emploi est toujours un drame qui engendre des difficultés innombrables et durables, touchant notamment à la vie familiale et à la santé. Personne ne s'en réjouit. C'est vrai, nous rencontrons régulièrement, dans nos permanences, des employeurs qui ne trouvent pas de main-d'œuvre. Mais nous rencontrons tout aussi souvent des demandeurs d'emploi qui cherchent du travail mais n'en trouvent pas. Il faut partir d'un diagnostic honnête de l'état de l'emploi et du chômage dans notre pays. Cela a été rappelé plusieurs fois : selon les chiffres de Pôle emploi, plus de 5 millions de personnes sont privées de travail, dont 3 millions en catégorie A ; et selon la Dares, 367 500 emplois sont vacants. Il y a donc aujourd'hui huit fois plus de demandeurs d'emploi de catégorie A que d'emplois disponibles – et ces emplois sont aussi bien des CDI que des CDD ou des emplois saisonniers.
Vous avez beau parler de plein emploi, votre texte ne contient aucune proposition pour la création d'emplois de qualité. Vous pouvez toujours vous réjouir de la baisse du chômage – comme M. le ministre vient de le faire –, mais encore faut-il que les retours à l'emploi soient réels et de qualité. Or vous ne précisez jamais que la baisse toute relative du chômage a pour corollaire une augmentation sans précédent des retours à l'emploi avec des contrats très précaires : le nombre de contrats de moins de vingt heures a crû de plus de 26 % en un an, et une sortie sur dix des chiffres du chômage est désormais due à une radiation. Votre projet de loi vise précisément à accentuer ces tendances. C'est un projet du « plein de mauvais emplois ».
Si nous reconnaissons qu'il faut clarifier les circuits et rendre le service public de l'emploi plus accessible et plus performant, votre projet de réforme ne va pas dans ce sens. Ainsi, la description de l'entité France Travail, de ses comités à tous les échelons territoriaux et de son réseau associant tous les organismes d'accompagnement – publics comme privés, sans plus de distinction – est assez difficile à appréhender, jusqu'à ce qu'on comprenne que le comité national présidant aux grandes orientations sera entre les seules mains de votre ministère. Cette concentration du pouvoir laisse perplexe quant à votre projet politique et à la marge de manœuvre des différents opérateurs publics de l'insertion et de l'emploi.
Vous choisissez d'en finir avec Pôle emploi ; mais que Pôle emploi devienne France Travail n'est pas anodin : la notion de travail, plus vaste, introduit l'idée qu'il faut être en activité, sans quoi on risque d'être identifié à un oisif. Dans le même esprit, la réforme du RSA conditionne le versement de ce dernier à quinze heures d'activité par semaine, sans préciser la nature de ladite activité. Ce faisant, vous remettez en cause frontalement nos principes de solidarité ; vous transformez le RSA en une allocation de retour à l'emploi, quand il est une allocation de subsistance. Vous entretenez une confusion entre l'allocation chômage et le RSA, entre le revenu de remplacement assurantiel et la prestation sociale, assise sur la solidarité et financée par l'impôt, pour, à terme, supprimer l'un ou l'autre.
Avec votre projet de loi, tout le monde est inscrit d'office sur la liste des demandeurs d'emploi, jusqu'au conjoint ou au concubin d'un allocataire du RSA – votre texte initial y incluait même les personnes invalides. Tout le monde est soumis au même contrat d'engagement, et surtout à des menaces de sanction plus fortes. Pôle emploi, rebaptisé France Travail, devient une sorte de gare de triage.
Si vous escomptez véritablement un meilleur accompagnement sur mesure de chacun, il faut y mettre les moyens. Or l'étude d'impact se contente de renvoyer au PLF pour 2024. En parallèle, une lettre de cadrage d'une rare violence a été adressée aux organisations syndicales et patronales dans le cadre de l'actuelle négociation de l'Unedic. On y découvre que l'Unedic doit devenir l'un des contributeurs majeurs de votre réforme, sans que les députés aient leur mot à dire. Ce choix de financement pose un grave problème : un mélange des genres et un détournement d'argent public normalement destiné à l'assurantiel. Les organisations ne s'y trompent pas, elles qui ont unanimement refusé vos orientations.
Enfin, sachez-le, ce ne sont pas les dispositions relatives à l'accueil de la petite enfance, dont nous n'avons pu débattre en commission, qui détourneront le regard des députés communistes et ultramarins des enjeux dévastateurs de ce texte.