Intervention de Marie-Charlotte Garin

Séance en hémicycle du lundi 25 septembre 2023 à 16h00
Plein emploi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Charlotte Garin :

Pour préparer l'examen de ce texte sur le plein emploi, j'ai lancé un appel à témoignages. J'en ai reçu des dizaines en quelques jours, comme on en reçoit tous et toutes au cours de notre mandat. J'ai décidé d'appeler aujourd'hui votre attention sur deux d'entre eux, car je trouve qu'ils sont plus parlants que certains discours.

Emma, d'abord, m'a écrit : « Je suis au RSA depuis quelques années. Ma situation personnelle rend difficile mon retour à l'emploi car je suis maman solo à 100 %, mon enfant n'a pas de deuxième parent. Je n'ai pas de famille et de relais gratuit à proximité. Mon enfant a fait une phobie scolaire en 2021 et j'ai dû la déscolariser car elle était en grande souffrance. Je suis donc "H24" avec elle. Avant de commencer l'instruction en famille, j'ai bien essayé de postuler à des offres d'emploi mais en étant maman solo sans relais, c'était compliqué. Les employeurs n'étaient pas intéressés par mon profil trop contraignant. Pourtant, j'étais vraiment motivée. Le RSA permet de survivre mais on doit sauter des repas. Personne ne reste au RSA par confort. Aujourd'hui, avec l'instruction en famille, mon enfant va mieux, heureusement. Je me suis tournée vers le statut d'auto-entrepreneur en télétravail pour pouvoir assumer toutes mes responsabilités. Mais cela prend du temps, je m'occupe de mon enfant toute la journée, je fais son instruction du mieux possible. Et je m'occupe de mon projet professionnel le soir quand elle dort, et le matin avant qu'elle se réveille. Moi, je dors peu. »

Quant à Victor, voici ce qu'il m'a écrit : « J'ai travaillé pendant trois ans à Travailler et apprendre ensemble, l'entreprise qui a servi de laboratoire aux Territoires zéro chômeur de longue durée : deux ans comme peintre en bâtiment et un an comme homme de ménage et cuisinier. Je pense que l'emploi, ça ne suffit pas. Les collègues avaient un emploi garanti, dans une entreprise faite pour s'adapter à leurs conditions. Et ça n'a fait que ralentir la chute. Personne n'en sort par le haut. La plupart, en fait, quittent l'entreprise avant la retraite – en décédant. Il ne faut pas juste penser à l'emploi, mais aussi au reste, à l'entourage, au soutien psy, au logement. Parce que quand tu vis dans un logement squatté, ou chez un type qui t'héberge pour des motifs louches, comment tu fais pour gérer un boulot ? Quand tu es mère célibataire de trois enfants, et que tu parles mal français ? Quand tu fais de l'arthrose à 55 ans mais que tu as bossé pour ton mari tenancier de bar qui n'a pas déclaré ton salaire pendant vingt ans ? Quand tu es schizophrène et que tu vis seul avec ton père, que tu prends plus ou moins tes médocs, que tu te mets à parler aux murs et à insulter l'air ? Qui va leur donner, à ces gens-là, le plein emploi, un emploi qu'ils soient capables de tenir et dont ils puissent se sentir fiers ? »

Au fond, monsieur le ministre, votre projet de loi me met mal à l'aise. D'abord parce qu'il fait porter toute la responsabilité de leurs conditions de vie sur ces gens, qu'il suffit pourtant de fréquenter un après-midi pour se rendre compte de la situation inextricable dans laquelle ils et elles se trouvent. Le renforcement des contraintes qui pèsent sur eux ne fait que renforcer la peur et la stigmatisation. On l'a dit : ces personnes ont avant tout besoin d'un accompagnement bienveillant, de proximité, assuré par quelqu'un qui ait du temps à leur consacrer. Aujourd'hui, les conseillers Pôle emploi gèrent parfois plus de cent demandeurs d'emploi. Nos travailleurs sociaux, monsieur le ministre, n'ont pas les moyens de vos ambitions.

Par ailleurs, c'est la responsabilité de l'État de faire en sorte que les plus vulnérables puissent accéder à leurs droits. Cela fait six ans que vous nous promettez chaque année d'avancer sur la question du non-recours aux minima sociaux, et nous attendons toujours. C'est la responsabilité des entreprises de s'adapter et de proposer de meilleures conditions de travail, avec l'aide de l'État quand c'est nécessaire. Pourquoi certains secteurs ne trouvent-ils plus de candidats ? Faut-il y orienter les travailleurs de force ? Le feriez-vous pour vos fils et vos filles ? Réfléchissez-y, car ce texte ne prévoit aucune exigence à l'égard des entreprises.

Enfin, c'est la responsabilité des femmes et des hommes politiques d'anticiper l'avenir et d'encourager le développement de certains métiers au détriment des autres. En effet, la raréfaction des ressources, la multiplication des événements climatiques extrêmes et la hausse des températures vont profondément modifier nos façons de vivre et donc de travailler. Il va nous falloir rapidement adapter notre législation et notre modèle social, mieux protéger les gens au travail, penser la semaine de quatre jours et le revenu de base. Des tas de régions en Europe, parmi lesquelles des régions françaises, réalisent des expérimentations. Vous devriez les soutenir et les développer plutôt que de vous enfermer dans un vieux modèle productiviste dans lequel tout ce qui ne produit pas, ne cotise pas ou ne consomme pas n'a pas de valeur – j'ai nommé les jeunes, les aînés, les chômeurs. Puisque vous êtes la start-up nation, ayez le courage d'innover !

Je conclurai par un dernier témoignage, celui de Laura : « Tout le monde fait semblant de ne pas constater la désindustrialisation comme cause première de la baisse des emplois disponibles. L'individu sans emploi est alors blâmé et c'est un sentiment de honte qui émerge. Avant je reprenais l'expression d'une amie qui disait : "vivement la retraite". Mais ça, c'était avant ! »

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