Intervention de François Goulard

Réunion du mardi 12 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

François Goulard, ancien secrétaire d'État aux transports et à la mer :

J'ai été secrétaire d'État aux transports et à la mer pendant une période qui est maintenant relativement ancienne, il y a plus de quinze ans. En outre, j'ai exercé ces fonctions pendant un an seulement. Mes souvenirs sont donc partiels, pour des raisons qui se comprennent assez bien.

La part du fret ferroviaire dans le transport des marchandises était en effet déjà un sujet de préoccupation. Comme vous l'avez relevé, un nouveau dirigeant venait d'être nommé à la tête de Fret SNCF – un homme d'expérience, dont le parcours était moins classique que celui des différents responsables du groupe. Il mettait en œuvre un plan cohérent et dont on pouvait penser qu'il avait des chances de réussir.

Mais notre sujet de préoccupation à l'époque était surtout de faire adopter le énième plan fret. Il s'agissait de restaurer un équilibre financier extrêmement dégradé, tout en recherchant l'accord de Bruxelles au sujet des aides qui allaient être accordées à la SNCF pour cette activité. De mémoire, ce plan s'élevait à 1,5 milliard, dont 700 ou 800 millions apportés par l'État – le reste étant à la charge de l'entreprise.

Comme vous l'avez justement dit, la concurrence était en germe mais elle n'avait pas commencé à produire ses effets. Dans mon souvenir, la libéralisation du fret n'était pas un sujet d'actualité ou de débats. Je ne me rappelle ainsi aucune discussion sur ce point à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Il fallait sauver le fret ferroviaire et tenter de restaurer sa part modale.

Il était aussi question d'autres sujets connexes, comme le ferroutage, qui faisait l'objet d'études et que l'on tentait de lancer depuis relativement peu de temps. Des obstacles très pratiques se manifestaient. Ainsi, les conteneurs ne passaient pas dans tous les tunnels et des gares ne disposaient pas des équipements adéquats de transbordement. De ce fait cette solution, qui semblait très prometteuse aux yeux de certains, n'arrivait pas à prendre forme.

Vous avez certainement déjà analysé les difficultés du fret ferroviaire, ou vous le ferez en entendant des gens sensiblement plus compétents que moi. Pour ma part, j'ai retenu que ce fret était adapté pour les trains complets cadencés. Pour des raisons évidentes, il est compliqué d'organiser des trains dont les wagons sont destinés à plusieurs gares différentes. En outre, la question des sillons posait déjà un problème. Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF entretenaient à cet égard des relations antagonistes. Il m'est cependant impossible de dire s'il y a eu mauvaise volonté des uns et des autres lorsqu'il s'est agi de privilégier le fret, ou du moins de ne pas le pénaliser.

En tout état de cause, nous avions observé que le fret ferroviaire avait un intérêt évident dans des pays beaucoup plus étendus que la France, car les distances à parcourir limitaient l'impact des ruptures de charge sur le coût et la durée relative de ce mode de transport. Par ailleurs, nous avions étudié de près la situation en Allemagne – comme souvent. Des contacts étroits existaient entre la Deutsche Bahn et la SNCF, mais aussi au niveau ministériel. La part modale du fret ferroviaire était effectivement plus élevée en Allemagne notamment parce que de nombreux produits pondéreux traversaient cette dernière à destination d'autres pays, à l'est de l'Europe. Les solutions retenues en Allemagne du fait de certaines caractéristiques favorisant le fret ferroviaire n'étaient donc pas adaptées aux besoins de transport de la France.

Autre point dont je me souviens : nos ports étaient mal équipés pour transférer efficacement et rapidement sur des trains des conteneurs ayant voyagé par la voie maritime – et je crois que c'est encore le cas. Je me rappelle être allé plusieurs fois au Havre et avoir constaté que la rupture de charge était inévitable. Il faut y ajouter le fait que la jonction entre Le Havre et la région parisienne était déjà totalement saturée, notamment en raison de la circulation des trains de banlieue. Bref, les conditions n'étaient pas réunies pour le développement du fret ferroviaire.

La concurrence de la route – avec sa souplesse et sa rapidité – était telle que l'on pouvait difficilement nourrir de grandes ambitions pour le fret ferroviaire. Je ne sais pas si cela a beaucoup évolué, mais sa vitesse moyenne était alors de 18 kilomètres à l'heure, ce qui n'est pas extrêmement performant. Et en cas de perturbations, par exemple dues à une grève, il fallait quelquefois trois semaines pour retrouver l'ensemble des wagons. Il y avait véritablement des problèmes d'organisation interne assez sérieux, qui pouvaient expliquer cette mauvaise performance.

Il s'agissait donc d'un sujet, mais pas de ma principale préoccupation lors de cette période – qui, encore une fois, a été relativement courte. J'avais des dossiers beaucoup plus urgents, comme celui – assez explosif – de la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM). Je m'en suis beaucoup occupé et il a été délaissé par la suite – mais c'est une autre affaire. Le débat sur le registre international français (RIF) avait été assez houleux à l'Assemblée et au Sénat. Il fallait aussi régler la question du statut des aéroports.

En ce qui concerne le fret ferroviaire, les débats portaient sur le plan fret.

La filialisation du fret avait été envisagée et repoussée. Je me souviens d'une réunion à laquelle participaient Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, Louis Gallois, président de la SNCF, son directeur général Guillaume Pepy et moi-même. Les deux plus jeunes, c'est-à-dire Guillaume Pepy et moi-même, étaient partisans de la filialisation, à la différence des deux plus âgés qui y étaient hostiles pour des raisons sociales. En tout état de cause, il était à peu près certain que le Président de la République refuserait cette solution, qui était rejetée avec une certaine violence par les syndicats de la SNCF. Le dossier a été refermé sitôt ouvert. Mais, d'une part, il nous était apparu que c'était un bon moyen d'obtenir l'accord de Bruxelles pour recapitaliser – en réalité pour capitaliser – cette éventuelle filiale fret. D'autre part, cela aurait sans doute permis de mieux évaluer la gestion de cette entité. Mais cela n'a pas été plus loin qu'une proposition rejetée au cours d'une réunion.

Voilà ce que je peux vous dire en quelques mots. Le fret ferroviaire constituait pour moi un sujet réel, qui a fait l'objet de discussions et sur lequel je recevais des notes. Mais il n'était pas au cœur des préoccupations du gouvernement à cette époque.

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