Pour le ministère de l'économie et des finances, la SNCF n'est qu'un gouffre financier. Dès lors que la discussion s'engage sur de telles bases, la SNCF – je ne cherche pas à la défendre – privilégie logiquement les activités rentables.
Avant le conflit de 1995, qui était aussi lié au contrat de plan, Guillaume Pepy, alors directeur de la stratégie de la SNCF, voulait imposer une stratégie de volume sur le TGV. Il n'a pas été entendu, les dirigeants ayant choisi de copier la politique tarifaire de l'aérien – ce qui a valu des mouvements d'usagers du Paris-Lille. En 1997, lorsque Guillaume Pepy revient à la SNCF à la demande de Louis Gallois, il applique la stratégie de volume, qui a marché. La SNCF vit sous la pression permanente de la maîtrise des dépenses publiques ; on lui répète sans cesse qu'elle coûte trop cher.
En ce qui concerne RFF, lorsque le gouvernement Jospin a pris ses fonctions en juin 1997, la question s'est posée de remettre en cause la réforme qui avait été adoptée en février 1997. Nous avons échangé le maintien de la réforme contre un désendettement supplémentaire de la SNCF. On laisse la SNCF creuser sa dette jusqu'au moment où elle n'est plus soutenable : c'est ainsi que l'on maintient la pression sur la SNCF, par l'endettement.
Pourquoi la Commission se réveille-t-elle maintenant alors même que les opérateurs concurrents de la SNCF venaient de retirer la plainte qu'ils avaient déposée il y a quelques années ? La question mérite d'être posée. Je sors un peu de mon rôle pour m'étonner de l'absence de réponse politique. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne s'oppose pas à la décision de la Commission. D'après moi, le fret fait les frais de négociations difficiles sur d'autres sujets – en l'occurrence, le nucléaire. Le gouvernement ne peut pas batailler sur tous les fronts. C'est de la pure politique : vous engagez un bras de fer sur l'énergie, on vous enquiquine sur un autre sujet. Je ne suis pas sûr d'avoir raison mais je ne vois pas d'autre explication.
L'accord trouvé avec la Commission est peut-être le meilleur que la France pouvait obtenir – je ne le conteste pas – mais il conduit encore à un rétrécissement du marché pour le fret ferroviaire, ce qui éloigne tout espoir de redressement. Si les chargeurs choisissent d'autres solutions logistiques, ils ne les remettront pas en cause facilement et Fret SNCF aura du mal à reconquérir les clients perdus.