Je confirme dans les grandes lignes ce qui vient d'être dit. France Info Télé, la chaîne d'information en continu du groupe France Télévisions, partage la même expérience et les mêmes conclusions. Nous avons tous couvert des manifestations plus ou moins houleuses, mais il est indéniable qu'il existe un avant et un après Gilets jaunes.
Nos équipes bénéficient des mêmes procédures de protection et du même dispositif de sécurité évoqués à l'instant. Nos équipes ne sortent plus sans deux agents de sécurité, qu'elles aillent couvrir en direct l'évènement ou réaliser un reportage destiné aux journaux télévisés. Elles ont également du matériel de protection, qui peut s'apparenter à ce que reçoivent les équipes en zone de combat ou de guerre, avec des casques, des masques filtrants, des gants et des lunettes de protection. Toutes les manifestations sur l'ensemble de territoire sont couvertes par les équipes de France Télévisions. Leurs images ou productions en direct ont vocation à être diffusées sur France Info TV.
Depuis les Gilets jaunes, les journalistes sont bien devenus des cibles à double titre. Les Gilets jaunes avaient peut-être manifesté une hostilité sur le fond, c'est-à-dire le traitement du mouvement par les journalistes, en nous reprochant un manque d'objectivité, un côté partisan qu'ils contestaient vigoureusement, voire violemment. Les manifestations qui font l'objet de votre commission d'enquête font, quant à elle, apparaître des casseurs ou des manifestants qui veulent nous empêcher de filmer et de produire des images, surtout en direct.
Nous sommes perçus comme des agents plus ou moins liés aux forces de l'ordre, qui permettent grâce aux images que nous diffusons de cibler les casseurs qui feront ensuite l'objet d'interpellations. Par conséquent, les journalistes de terrain ont constaté que ces casseurs s'organisent pour repérer les caméras afin de les empêcher de tourner, de subtiliser leur matériel ou de le détruire pour ne pas être enregistrés et reconnus.
Les dommages subis par nos équipes ont été heureusement nuls lors des trois derniers mois, même si plusieurs d'entre elles ont dû battre en retraite à de nombreuses reprises devant les menaces et n'ont pu accomplir leur travail jusqu'au bout de ce fait. Ceci est devenu très courant et très pénalisant pour notre devoir d'informer.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous demandons à nos équipes de se faire discrètes, ce qui est compliqué. Sans avoir envie de surexposer un fait ou un évènement, un journaliste doit être à bonne distance pour le comprendre et le restituer. Nous sommes parfois empêchés. Nous ordonnons toujours à nos équipes de se tenir à distance prudente de tout évènement qui pourrait mettre leur intégrité physique en péril. Dans ces conditions, l'accès à l'information est clairement remis en cause. Nous ne renonçons pas pour autant à couvrir les manifestations. Nous l'avons encore prouvé récemment à l'occasion des émeutes liées au drame de Nanterre. Cela dit, nous ne considérons plus qu'il existerait d'un côté des manifestations sensibles qui nécessiteraient de la prudence et d'un autre côté des manifestations moins dangereuses impliquant une moindre protection. Désormais, de notre point de vue, toute manifestation doit être considérée dangereuse, voire potentiellement très dangereuse.