Je vous remercie de nous inviter à partager notre expérience du suivi des manifestations. Nos expériences respectives nous permettent d'aborder l'évolution de ces évènements. Leur physionomie a clairement changé depuis les Gilets jaunes, ce qui nous a conduits à modifier la manière dont nous déployons nos équipes sur le terrain. Désormais, nous avons tous à peu près les mêmes mesures de sécurité. À partir de cette crise, nos équipes en binômes ont été accompagnées d'un agent, puis de deux agents de sécurité. Elles sont parfois à moto, ce qui leur permet d'être plus mobiles et d'être exfiltrées plus rapidement.
Les consignes fournies aux journalistes sont établies avant qu'ils ne partent sur le terrain, en commun avec la rédaction de TF1 avec laquelle nous entretenons des liens étroits au quotidien et plus encore dans les moments de crise. Dans ces circonstances, une cellule de suivi se met immédiatement en place pour décider de la manière de positionner les équipes sur le terrain, leur permettre de travailler sans trop s'exposer et de se protéger le mieux possible. Ce lien est absolument nécessaire : le suivi est quotidien, voire intervient plusieurs fois par jour quand des évènements s'inscrivent dans la durée. Notre service police-justice nous fournit parfois des remontées en amont quand les évènements sont prévisibles, ce qui permet d'ajuster au mieux le dispositif de terrain. En temps réel, ces liens se manifestent à travers les images qui arrivent en régie, les discussions et la création d'une boucle de discussion dédiée qui nous permet d'être très réactifs.
Pendant ces manifestations, un rédacteur en chef, voire un directeur ou directeur adjoint de la rédaction est présent en régie. Il accompagne le chef de news en lien avec les équipes, afin que nous puissions réagir le plus rapidement possible. Nous sommes également attachés au volontariat des équipes envoyées sur le terrain. Il n'est pas question qu'une équipe soit désignée si elle ne le souhaite pas. La protection des journalistes est de plus en plus systématique en fonction des informations que nous recevons. Nous essayons toujours de l'évaluer au mieux. Nos journalistes ont également des bonnettes neutres sur leurs micros et leur nom n'est pas diffusé à l'antenne. Ils interviennent avec un son « radio » : nous les entendons mais nous ne les voyons pas. Nous leur demandons également de ne pas se localiser, pour qu'ils ne soient pas repérables.
Nos journalistes sont en effet souvent la cible de menaces avant les manifestations. Lors des évènements récents, il est arrivé que des appels nominatifs aient été lancés contre certains de nos personnels, qui ne sont donc pas partis sur le terrain. Toute la difficulté consiste à sécuriser nos équipes, ce qui constitue notre priorité absolue. Un des moments les plus impressionnants pour l'une de nos équipes est intervenu en 2019 à Rouen. La scène a d'ailleurs été filmée par un journaliste de Paris-Normandie. Nos journalistes ont été insultés, ont reçu des projectiles et finalement, l'agent de sécurité qui les accompagnait a été roué de coups. Nos journalistes ont été exfiltrés mais ils ont été très choqués. Une plainte a naturellement été déposée et un procès s'est déroulé, aboutissant à la condamnation des agresseurs à six mois d'emprisonnement ferme.
Nous faisons également face à des vols ou tentatives de vols de matériel, le dernier en date ayant eu lieu à Nanterre récemment. Ces moments sont compliqués pour nous car nous devons les documenter. Mais nous savons que nos équipes se retrouvent dans des situations difficiles et qu'elles vivent des moments délicats. Si elles restent trop à distance, elles ne peuvent plus exercer leur travail correctement. Le schéma national du maintien de l'ordre est également un paramètre à prendre en compte : lors de certaines charges, des journalistes ont reçu indifféremment un coup de matraque dans la cuisse, un coup sur le bras.
Il y a trois ans, nous avions justement provoqué une réunion au ministère de l'intérieur lors de laquelle nous avions échangé avec les autorités. Elles expliquaient que, lorsque forces de l'ordre chargent, elles ne peuvent savoir que nos équipes appartiennent à la presse par manque de signe distinctif. Je pense que cela n'est pas tout à fait exact : les journalistes portent des casques et sont équipés de caméras ainsi que de micros, soit un équipement qui n'est pas celui des manifestants violents.
Nous sommes également attentifs aux retours d'expérience de nos journalistes. Certains ne peuvent plus couvrir de manifestations car leurs noms sont cités sur les réseaux sociaux en amont des évènements. Nous ne voulons courir aucun risque avec leur sécurité.