La question des violences est en effet abordée sous l'angle moral – doit-on ou non les condamner ? Elle est aussi formulée à travers le prisme du profil sociologique des émeutiers : qui sont-ils ? Ce n'est pas cela qui permettra de réfléchir, d'autant qu'il serait bien difficile de répondre de façon homogène.
En revanche, l'étude de ces émeutes est révélatrice des subjectivités saturées qui débordent. Si le combattant, l'épuisé et l'émeutier m'intéressent, c'est parce qu'ils sont des sujets au bord du gouffre. Ils en veulent au monde, charnellement et désespérément. L'émeutier est dans une rencontre brisée avec le monde. Il le brûle. Cet acte en dit long sur son rapport au monde.
Vous insistez pour que je vous apporte des propositions. J'aimerais pouvoir le faire mais j'ai peur de proférer d'énormes bêtises. En tout cas, ce n'est ni en judiciarisant ou en criminalisant davantage les groupes, ni en augmentant l'intensité de la réponse que la situation s'arrangera. Simplement, les résistances s'adapteront. À chaque stratégie répondra une action contraire. La désescalade n'aura pas lieu ainsi.
En tant que simple citoyen, je suis profondément inquiet pour la démocratie de voir le seuil de la violence augmenter en intensité. Pour l'éviter, il faut en revenir à cette question : comment travailler nos imaginaires politiques pour que les capacités collectives à supporter le monde subsistent ? Ces dernières années, j'ai le sentiment d'une incapacité de plus en plus partagée à supporter l'état du monde. S'il est vécu si brutalement, cela laisse peu d'espoir.
J'essaie justement de travailler les imaginaires politiques pour que se dessinent des horizons plus désirables. C'est aussi votre rôle. Pourtant, depuis François Mitterrand sans doute, il y a longtemps qu'on ne fait plus de promesses en politique. Comment, alors, se projeter collectivement dans l'avenir ?