Je reconnais cette volonté de faire entendre le diagnostic que l'on porte sur le monde dès lors que nos aspirations ne sont pas entendues. Les individus n'attendent plus grand-chose des cadres habituels pensés pour construire le politique. C'est aussi, selon moi, un signe d'impuissance politique important. J'y vois une dégradation de la relation au monde, vécu comme un point d'agression, comme hostile. La crise sanitaire a renforcé ce sentiment selon lequel il n'y a pas grand-chose à espérer.
Dans un deuxième temps, on peut s'interroger sur les moyens utilisés par les individus pour répondre à ce monde en déroute. Je ne suis pas certain que chacun considère sa parole supérieure à celle des autres. En tout cas, on observe un éclatement de la société en groupes très différents qui entretiennent des rapports conflictuels entre eux, dans une forme de guerre. Certains laissent le monde inchangé et approfondissent les tendances en cours. D'autres réagissent pour le remettre à leur portée.
Je veux faire ici le lien avec le complotisme, qui peut se comprendre comme une volonté de reprendre intellectuellement le monde en main. C'est une force réactive, qui prend la forme d'une simplification radicale, mais qui donne le sentiment confortable d'avoir une prise. Dès lors, comment faire pour redonner cette prise aux uns et aux autres ? Comment faire pour croire au monde, et y croire malgré tout comme le demandait Gilles Deleuze ? C'est en effet la précondition du politique. Or, cette crise de la confiance à l'égard du monde produit des emportements.