Les expertises collectives ont aujourd'hui trente ans. Elles ont été créées avec l'idée que les chercheurs avaient deux missions : à long terme, de chercher et de découvrir ; à plus court terme, de partager leurs connaissances pour que les décideurs puissent se fonder sur des données un peu solides. Le but de ces expertises est ainsi d'apporter un éclairage scientifique multidisciplinaire sur des thématiques de santé et d'être ainsi utiles au processus décisionnel. Dans notre travail, nous nous fondons principalement sur les données récentes issues de la recherche biomédicale et des sciences humaines. La particularité de ces expertises collectives est de laisser la place aux connaissances et au savoir-faire des chercheurs, qui sont spécialistes dans leur domaine, et libres dans leurs recherches. Désormais, ces expertises collectives sont vraiment devenues un outil de la démocratie en santé et cherchent à formuler des recommandations d'actions destinées aux décideurs. L'expertise sur les pesticides que nous vous exposons aujourd'hui a été sollicitée par cinq directions générales ministérielles en 2020, en vue de mettre à jour une expertise publiée en 2013 à la demande de la direction générale de la santé.
Tout d'abord, qu'entend-on par pesticides ? Il en existe trois classes : les insecticides, les herbicides et les fongicides. Ces produits sont répartis en une centaine de familles chimiques, pour un millier de substances actives et plus de 10 000 spécialités commerciales, sans compter les métabolites, les coformulations et les impuretés. Le paysage n'est pas si simple que cela !
En termes de méthodologie, nous avons décidé de conduire une entrée par les pathologies et non pas, comme nos confrères de l'Inrae, par produit. Pathologie par pathologie, nous avons regardé si nous disposions de données en fonction de l'exposition aux pesticides, dans une approche multidisciplinaire, en intégrant donc l'expologie, l'épidémiologie, la toxicologie, ainsi que, depuis 2021, la sociologie. L'autre nouveauté concerne le focus particulier réalisé sur certaines substances actives : le glyphosate et le chlordécone, ainsi que la famille des fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHi).
Dans cette expertise, nous avons étudié une trentaine de pathologies, depuis le nourrisson jusqu'à l'adulte. À chaque fois, nous avons vérifié s'il existait des données épidémiologiques et si elles pouvaient être confortées par des données toxicologiques. Nous avons également regardé ces données pour les expositions professionnelles – principalement des expositions par voie cutanée, et dans une moindre mesure par voie respiratoire ou par ingestion. Nous nous sommes aussi concentrés sur l'exposition environnementale – contamination par l'air, l'alimentation, environnements intérieurs, sur les différentes populations – notamment les riverains, en prenant également en compte d'autres facteurs comme la nature, la durée et le niveau de l'exposition, ainsi que l'influence des périodes sensibles – grossesse, période prénatale et enfance.
Nous avons classé les maladies en trois catégories en fonction du lien de présomption – fort, moyen ou fiable, selon un certain nombre de critères, notamment du nombre et de la qualité des analyses. Pour qu'un lien fort soit présumé, il fallait des méta-analyses de qualité, avec une association significative, ou plusieurs études de bonne qualité. Pour une présomption moyenne, il fallait au moins une étude de bonne qualité. Pour une présomption faible, il pouvait y avoir plusieurs études de qualité insuffisante ou incohérentes entre elles. Cependant, ces présomptions constituaient surtout un cadre ; nous ne nous voulions pas dogmatiques.