Je ne sais pas si ma réponse les a émus. En tout cas, elle a été un peu instrumentalisée. J'essaie d'être pragmatique. Je considère le bon sens une vertu cardinale. Vous soulevez la question des peines planchers – une formule que vous n'avez pas utilisée, mais qui n'est pas taboue. Si j'avais la certitude que cette solution soit efficace, je me lancerais. Or, tel n'est pas le cas, comme nous l'avons constaté lors de leur première expérimentation. La délinquance a-t-elle diminué ? Non. Quant aux peines planchers au sens strict, celles qui ne laisseraient aucun choix au juge, elles sont inconstitutionnelles. Ce n'est pas la peine d'aller plus loin. En disant cela, je ne méconnais pas le besoin de fermeté qu'ont exprimé les forces de sécurité intérieure. J'ai d'ailleurs renforcé les peines chaque fois que l'on s'en prend à elles. Il a aussi été mis fin, dans un autre texte, aux crédits de réduction de peine alloués aux auteurs de telles violences. Ce sont des faits.
La qualification appartient d'abord au parquet, puis au juge, qui peut d'ailleurs la modifier. Elle n'est pas le fait du garde des Sceaux. Les films en noir et blanc où celui-ci ordonne à un procureur tremblotant quoi faire, c'est terminé ! Les juges ont acquis leur indépendance de haute lutte et ils en sont particulièrement soucieux. Laissons-les faire. En outre, les textes sont là : la qualification de tentative de meurtre existe. Si le parquet ne la retient pas, il doit bien avoir ses raisons alors qu'il travaille au quotidien très étroitement avec les services de police.
Il y a des prises de position, notamment syndicales, contre lesquelles je me suis toujours battu. J'ai été invité au Beauvau de la sécurité, où j'ai eu l'occasion de rencontrer toutes les organisations syndicales. Récemment, j'ai aussi inauguré le congrès annuel du syndicat Alliance Police nationale. Je leur ai dit qu'ils avaient tort de considérer la justice comme le problème de la police – une expression beaucoup entendue à une époque, moins maintenant heureusement. En effet, si la justice ne contrôle pas l'activité de la police, cette dernière n'est plus républicaine. Cette interaction est indispensable. Nous sommes dans la même barque républicaine. Il n'est pas plus acceptable de dire que le problème de la police, c'est la justice, que d'entendre de la part de certains zozos qu'au-delà d'une peine d'amende, la justice serait politique. Respectons-la !
Vous jouez sur du velours parce que, chaque jour hélas, la justice apparaît sous l'angle du fait divers. Une femme a été tuée ; c'est évidemment un échec absolu. Les chaînes d'information rappellent le drame en boucle, sans jamais évoquer ce qui a été évité grâce au bracelet anti-rapprochement, au téléphone grave danger, aux ordonnances de protection. Immanquablement alors, l'interrogation se fait jour : que fait la justice ? La voilà qui devient responsable de tous les maux alors qu'elle ne peut intervenir qu'une fois le mal fait. Ce n'est pas à elle d'endosser les conséquences d'une éducation déficiente. À ce propos, je veux que nous réfléchissions à la question de la responsabilité parentale avec lucidité : comme je l'ai dit au moment des émeutes, un gamin de onze ans n'a rien à faire dehors ! La justice intervient aussi après l'éducation nationale, bien en aval. Je peux comprendre le mouvement compassionnel à la source de telles réactions, mais je m'en méfie. La justice doit être pensée avec recul, respect et sérénité.
Bien sûr, la justice peut se tromper, comme un ministère, comme le Parlement, comme tous ceux qui agissent. C'est toute la différence avec les adeptes du « y'a qu'à, faut qu'on », les quinze experts à la douzaine qui blablatent sur tous les sujets. Un juge peut se tromper ; c'est ce qui justifie l'appel. Toutefois, il faut se méfier d'une focalisation excessive sur des affaires précises, dont certains profitent pour cracher sur l'ensemble de l'institution. Tous les républicains devraient se garder de critiquer la justice, comme j'entends souvent le faire ceux qui n'acceptent aucune autre peine que celle qu'ils ont eux-mêmes déterminée. Un tel climat est délétère. Je me passionne pour la justice, tout en sachant qu'elle a des défauts. C'est une grande institution, comme la police, qu'il n'est pas fidèle à notre démocratie de réduire à une équipe de meurtriers.