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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 7 septembre 2023 à 10h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, nous devrions avoir répondu aux questions écrites du rapporteur d'ici à la fin de la semaine.

Je ne suis pas certain que l'on puisse discerner une contradiction entre les injonctions liées à la police administrative, d'une part, et à la police judiciaire d'autre part. En tout état de cause, si cette contradiction existe, elle est apparue en même temps que la police administrative et la police judiciaire elles-mêmes. Par ailleurs, une refonte de la procédure pénale à droit constant est en cours d'élaboration. Dès qu'un texte sera entériné, il fera l'objet d'un suivi parlementaire. Nous nous inspirerons également des travaux de votre commission d'enquête pour faire évoluer, le cas échéant, un certain nombre de règles.

Ces derniers mois, les rassemblements et manifestations sur la voie publique ont été le théâtre d'actes portant gravement atteinte à l'ordre public, principalement dirigés contre les biens mais aussi, trop souvent, contre les forces de l'ordre. Je condamne ces agissements avec la plus grande fermeté. Aucune cause ne peut justifier ces déchaînements de violence. Agresser un policier ou un gendarme, c'est évidemment agresser la République, et je veux redire mon indéfectible soutien aux forces de sécurité intérieure.

Certains de ces actes sont le fait de groupuscules violents, qui ont investi les manifestations et les rassemblements dans l'objectif assumé de commettre des exactions d'une particulière brutalité. Bien avant ce printemps, la France avait connu des actes similaires, notamment en 2019 et 2020. Ces débordements inacceptables mettent en péril le droit constitutionnel de manifester, une liberté primordiale qui appartient à tous les citoyens dans une grande démocratie. En France, chacun est libre d'exprimer ses opinions et sa désapprobation face à des réformes gouvernementales. La richesse d'un pays tient aussi à la diversité et à la force des convictions de ses citoyens. Défendre ses idées est le signe tangible d'un engagement politique, mais il ne peut et ne doit s'inscrire que dans le respect le plus absolu de la règle commune qu'est la loi. La loi en France est le résultat d'un processus démocratique abouti, qui commence par des élections transparentes et qui se termine par le contrôle du Conseil constitutionnel, en passant par une procédure parlementaire où tout le monde, en particulier les oppositions, s'exprime. Il n'est pas acceptable, alors, que l'exercice de la liberté d'expression soit instrumentalisé et détourné pour donner lieu à des atteintes aux personnes, au pillage des biens, au saccage de l'espace public.

Certains débordements sont le fait d'individus en relation sur les réseaux sociaux, animés de la même intention de déstabiliser les forces de sécurité. Ils se rencontrent, se regroupent, parfois jusqu'à former un black bloc, outil redoutable du passage à l'acte. Certains activistes se distinguent par des modes d'action violents. D'autres ont pour but d'infiltrer des mouvements aux revendications légitimes, dans des domaines écologiques et sociétaux, puis adoptent le recours systématique à la violence contre les forces de sécurité intérieure. Ceci appelle un traitement judiciaire adapté.

Je dois signaler un élément important. On sait que 91 % des 3 189 gardés à vue dont mon ministère a eu connaissance à la suite des événements du printemps étaient des majeurs. Ceci diffère des émeutes du début de l'été où l'on trouve beaucoup plus de mineurs, y compris très jeunes.

Comment lutter contre les actions de ces mouvements violents ? Il m'appartient de mobiliser l'ensemble des acteurs judiciaires de la chaîne pénale en donnant des directives claires, fondées sur une politique lisible, cohérente et, je le revendique, empreinte de fermeté. Notre arsenal législatif permet d'appréhender les comportements violents dans toutes leurs manifestations. Leur répression peut encore être renforcée par une meilleure identification des membres les plus actifs de ces mouvements subversifs. Cette identification, indispensable pour garantir l'effectivité de la réponse pénale, est ardue. Les individus en question agissent à visage couvert. Il n'est pas toujours possible de les interpeller lors du passage à l'acte, les forces de l'ordre étant mobilisées pour rétablir l'ordre public. C'est la dualité, ou la contradiction, qu'évoquait le président de la commission d'enquête à l'instant. Des moyens techniques tels que les produits de marquage codés peuvent se révéler précieux dans le recueil des preuves en ce qu'ils permettent d'objectiver la présence d'un individu dans une zone déterminée. Postérieurement aux violences, des investigations au long cours sont conduites pour identifier ceux qui n'ont pu être interpellés sur-le-champ.

Je veux souligner l'importance que revêt le partage du renseignement entre tous les acteurs de la chaîne pénale. La coordination des partenaires locaux, des services du renseignement territorial à l'autorité préfectorale en passant par les procureurs de la République, est indispensable. C'est le sens de la lettre que j'ai adressée le 22 juin au ministre de l'intérieur pour souligner qu'une action efficace repose nécessairement sur l'implication des services de renseignement. Ceux-ci ont pour mission de signaler au parquet la situation des membres les plus actifs des réseaux afin que l'autorité judiciaire puisse envisager, le cas échéant, leur judiciarisation sur le fondement des qualifications mobilisables, mais aussi de prendre part aux instances partenariales instituées par les parquets afin d'œuvrer au continuum de sécurité et de développer une réponse adaptée.

Je soutiens que l'autorité judiciaire peut développer une approche proactive et faire preuve d'anticipation afin d'agir sans attendre les débordements. Des qualifications pénales appropriées peuvent être mobilisées pour appréhender les individus les plus actifs, qui appellent à la violence ou accomplissent des actes préparatoires à des projets d'action violente. Cela peut se faire en fonction des agissements et des éléments probatoires à la disposition des parquets. Ces infractions prennent la forme d'appels à la violence, de menaces de commettre un crime ou un délit sur une personne dépositaire de l'autorité publique, voire d'actes préparatoires d'une action violente identifiée susceptibles de tomber sous le coup de la qualification d'association de malfaiteurs.

Dans leur mission de recueil d'informations concernant ces profils les plus actifs, les services de renseignement ont vocation à livrer à l'autorité judiciaire des éléments qui feront l'objet d'une judiciarisation s'ils révèlent l'engagement desdits individus dans un processus délictuel. L'autorité judiciaire développe une approche fine, éclairée et lucide des situations pour distinguer les plus virulents, qui planifient leurs actions à l'occasion de rassemblements d'ampleur, des fauteurs de troubles spontanés. C'est le sens des directives du ministère de la justice, qui déploie une politique pénale empreinte de fermeté et de célérité.

Depuis 2018, pas moins de cinq circulaires et dépêches ont été diffusées auprès des parquets généraux et locaux afin d'appeler l'attention sur le traitement réservé à ces faits, tant en amont des manifestations afin de minimiser les débordements par l'échange d'informations que pendant leur déroulement. Face aux événements du printemps 2023, la direction des affaires criminelles et des grâces a adressé, le 18 mars, une dépêche aux parquets généraux et locaux relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'occasion des manifestations et des regroupements liés à la contestation de la réforme des retraites. En réponse à ces événements d'une ampleur exceptionnelle, qui ont entraîné une désorganisation et une déstabilisation inédites de notre État de droit, nous avons appelé à l'adaptation de l'organisation des juridictions, à la faveur du renforcement des effectifs de magistrats et de greffiers. Il s'est agi de proposer une réponse pénale rapide grâce à un recours accru au déferrement, possible à la double condition que les auteurs soient identifiés et que leur personnalité comme la gravité des faits justifient une telle réponse pénale.

Cet appel a été suivi d'effet. J'évoquais 3 189 gardés à vue. 618 d'entre eux ont été déférés et 14 autres font l'objet d'une information judiciaire. Par ailleurs, 312 auteurs ont été poursuivis par les voies classiques de la convocation par un officier de police judiciaire, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de l'ordonnance pénale, tandis que 494 personnes faisaient l'objet d'une alternative aux poursuites.

Je veux saluer la mobilisation, pendant plusieurs jours consécutifs, de tous les magistrats et greffiers afin de gérer les gardes à vue, les déferrements et les audiences tardives du printemps. Leur action s'est révélée cruciale pour rétablir l'ordre républicain. Il faut les en remercier chaleureusement.

Les faits du printemps dernier nous ont amenés à réfléchir aux moyens d'une meilleure appréhension judiciaire des mouvances extrémistes violentes. Les infractions imputées à ces dernières, commises en marge de manifestations et d'événements sportifs ou culturels, doivent faire l'objet d'une action judiciaire rapide, complète et efficace afin de prévenir ou de limiter les troubles à l'ordre public. Cet objectif est particulièrement d'actualité dans l'optique de la prochaine Coupe du monde de rugby et des Olympiades de 2024.

Au-delà de la démarche proactive que j'envisageais à l'instant, une réflexion a été engagée à l'initiative de la direction des affaires criminelles et des grâces, en lien avec le parquet général de Paris et le parquet de Paris, prolongée par des travaux conduits localement. La procureure de la République de Paris a indiqué à votre commission d'enquête envisager la création d'un groupe local de traitement de la délinquance dédié à ces groupuscules violents. Cette instance est susceptible de constituer un cadre privilégié d'échange d'informations pour mieux appréhender ces mouvements et améliorer leur suivi par une approche stratégique. Elle est de nature à sensibiliser chacun des acteurs et à favoriser une action concertée pour prévenir les débordements, pour lutter contre les infractions commises par les membres les plus actifs de ces groupements.

Les réflexions conduites amènent, en outre, le parquet de Paris à envisager une organisation spécifique permettant un meilleur pilotage et un traitement des affaires les plus complexes par des magistrats dédiés et sensibilisés aux enjeux.

Il me semble indispensable que les parquets concernés, notamment le parquet de Paris, sur le fondement des renseignements partagés par les services spécialisés, puissent judiciariser ces agissements – dans le respect du principe de proportionnalité dont l'autorité judiciaire est garante, avec la rigueur et l'exigence qui doivent être les siennes. Il faut qu'ils ouvrent des procédures d'enquête ou d'information en retenant les qualifications adaptées, notamment le délit d'association de malfaiteurs, lorsque les renseignements recueillis et le travail des services de police permettent d'établir, en amont de l'infraction projetée, la constitution d'un « groupement » ou d'une « entente », pour reprendre les textes, établis en vue de la préparation, caractérisée par des actes matériels, d'une action violente dirigée contre les membres des forces de sécurité intérieure ou des personnes déterminées. Une réunion des procureurs généraux sur ces sujets sera organisée à l'automne par la direction des affaires criminelles et des grâces.

Au stade du jugement, des peines à la hauteur de la gravité des faits doivent être requises par le ministère public. Il s'agit non seulement de sanctionner les auteurs de violences, mais également de les empêcher de commettre à nouveau de telles infractions. Je pense naturellement aux interdictions de participer aux manifestations ou de paraître en certains lieux, ainsi qu'à l'interdiction de séjour. Lorsqu'elles sont prononcées, le respect de ces peines doit être contrôlé, de manière à sanctionner les violations.

Cette effectivité du suivi pose, en pratique, la question des moyens. Il faut pouvoir suivre de près la situation de ces manifestants pour établir une violation de l'interdiction prononcée. Des moyens humains et matériels sont donc indispensables pour atteindre notre objectif de lutte contre ces violences. C'est l'un des objets du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, adopté par les deux assemblées et qui sera examiné prochainement en commission mixte paritaire.

La justice a été à la hauteur de sa mission en réprimant de façon ferme et rapide ces violences, tout en respectant l'État de droit. Tous les acteurs – magistrats et fonctionnaires des greffes, mais également agents pénitentiaires et agents de la protection judiciaire de la jeunesse, sans oublier le personnel de l'administration centrale – ont été pleinement mobilisés pour que la justice passe, malgré un contexte difficile et tendu. Vous le voyez, l'engagement du ministère de la justice dans la lutte contre les violences commises par ces groupuscules est total, pour les réprimer comme pour s'adapter, avec de nouvelles méthodes et de nouveaux moyens.

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